L’innovation, moteur societal et boursier

par 21.03.2021Finance, Le Temps

Chronique par Serge Ledermann paru dans Le Temps le 21 mars 2021

L’innovation est un rouage essentiel de la croissance économique mondiale, tout en étant un des principaux facteurs de différenciation parmi les économies et les entreprises. L’innovation est la recherche permanente d’amélioration de l’existant, tant en matière de produits, que de services ou de processus. Il semble que cette notion ait aujourd’hui pris le pas sur le vocable « progrès » qui a largement régressé dans le langage courant. L’innovation est le moteur nécessaire qui permet à l’homme de déclencher le changement et s’y adapter, plutôt que de le subir.

L’innovation englobe un spectre de développements beaucoup plus large que celui de l’invention qui se concentre sur la création de choses nouvelles. Si intuitivement chacun comprend le processus d’innovation, il s’agit en fait d’un phénomène complexe et, dans une certaine mesure, subjectif.  Dans la recherche de ce que sera (ou doit être) le monde d’après (la pandémie), il existe une impulsion forte à transformer de nombreuses opportunités en meilleurs produits, services et processus de production. Les domaines d’application sont nombreux : traitement des virus et infections de toutes sortes, transition énergétique, nouvelles habitudes de consommation, environnement de travail et mobilité, modes de communication et d’information, et la liste est encore longue.

Nous sommes d’avis que la pandémie restera dans l’histoire comme un accélérateur de l’innovation. On en veut pour preuve la mise au point de différents vaccins et autres traitements contre la Covid19 en un temps record ou encore les développements majeurs dans les connections et la communication digitale de manière à permettre les activités professionnelles à distance notamment. 

A cet égard, nous observons des différences profondes entre les Etats-Unis et l’Europe dans la réponse apportée à l’urgence médicale de la Covid19. Quand l’Union européenne tente à grand-peine de s’entendre sur la distribution des soutiens à la recherche ou encore la centralisation des commandes de vaccins, les Etats-Unis ont su rapidement mobiliser une entité stratégique de leurs services de santé, la BARDA.  La « Biomedical Advanced Research and Development Authority », dont l’objectif affiché est de « protéger la nation en cas de menace chimique, biologique, radiologique ou nucléaire, ainsi que de pandémie », a mis à disposition des financements et une assistance technique aux entreprises engagées dans la course au vaccin. Ainsi, des partenariats « privé-public » afin de partager les risques et accélérer les projets ont été mis en place. Autre différence majeure, aux Etats-Unis les moyens financiers ont été largement alloués aux sociétés de biotechnologie (qui ont finalement gagné la course), alors qu’en Europe, la priorité a été donnée aux grands groupes pharmaceutiques qui ne démontrent plus de qualités de recherche notables depuis fort longtemps… De plus, chez l’Oncle Sam, la vaccination avance rapidement car on dispose de stocks et on s’active auprès de la population 24 heures sur 24 ! Le président Biden ose désormais promettre une fête nationale (4 juillet) en famille et en public. En Europe, ce type de promesse n’est pas envisageable…

L’avènement de l’ARN messager constitue donc une percée scientifique majeure qui ouvre de nouveaux horizons très prometteurs dans la prévention de maladies et les traitements médicaux. De même, la contrainte liée au travail, au commerce et aux services à distance s’est traduite par des avancées spectaculaires dans les modes de communication, la combinaison fluide d’images, de vidéos et de sons, les loisirs digitaux, la télémédecine ou encore les paiements sécurisés. Tout ceci grâce à l’engagement accéléré de l’intelligence artificielle et une ergonomie maintenant accessible à tous. Enfin, la volonté de préserver la planète et ralentir les effets nocifs du réchauffement a induit une foison d’améliorations dans les modes de fabrication, de production d’énergie et de mobilité visant toutes à réduire les émissions toxiques et l’impact sur les ressources. Le chemin est encore long, mais l’accélération est née de la nécessité. Il est bon de rappeler qu’il faut avant tout créer les conditions optimales pour générer de l’innovation. Si le secteur privé détermine quelles innovations sont de nature à réussir, le rôle des pouvoirs publics est loin d’être secondaire. Comme dans le cas de BARDA, il peut appuyer les efforts de recherche et de développement en mettant à disposition des moyens financiers et techniques, en facilitant des procédures réglementaires ou encore en accompagnant les perdants des dislocations technologiques.

L’innovation n’est pas au ralenti. Certains experts prétendent que les faibles gains de productivité et le ralentissement de la croissance depuis une vingtaine d’années accréditent la thèse de l’anémie de l’innovation. Nous ne partageons pas cette analyse, telles que le démontrent les avancées mentionnées ici. Les marchés ne s’y sont d’ailleurs pas trompés dans la mesure où ils ont assigné des valorisations très élevées à toutes les entreprises faisant preuve d’innovation, quel que soit le secteur d’activité. L’émergence spectaculaire de nouvelles sociétés de gestion (comme ARK Investment de Cathie Wood qui base ses choix d’investissement uniquement sur la capacité d’innovation des entreprises sélectionnées) ou encore l’appétit glouton des investisseurs pour les stratégies thématiques ciblées reflètent bien les préférences de l’époque présente. Il ne faut toutefois pas se cacher que la dynamique de cours récente dans certains segments, comme les véhicules électriques ou encore les énergies renouvelables, est certainement excessive. Bien souvent, l’attrait de la nouveauté pousse les investisseurs à anticiper un futur très surévalué et, partant, faire fi de toute considération rationnelle en matière de valorisation. Comme pour la durabilité, le changement de priorité des investisseurs et l’acceptation de nouveaux concepts vertueux peut mener à de l’effervescence boursière passagère. C’est généralement le moment – comme maintenant – pour les entreprises plus prosaïques et généralement moins innovantes de prendre le relais. A plus long terme, seuls les véritables créateurs de valeur ajoutée – largement poussée par l’innovation – pourront sortir du lot.

Serge Ledermann, 21 mars 2021

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