Confiance, vous avez dit confiance ?

par 9.11.2020Finance, Le Temps

Article par Serge Ledermann paru dans Le Temps le 9 novembre 2020

 

Il est vrai que la confiance ne se décrète pas, elle se mérite ! L’élection de l’occupant de la Maison-Blanche pour les 4 prochaines années nous a donné l’occasion de mesurer combien cette confiance dans la « démocratie américaine » avait reculé dans le monde. A l’évidence, le comportement totalement inapproprié de Donald Trump a contribué à discréditer la fonction mais, plus grave encore, le fonctionnement des institutions a montré de sérieuses faiblesses. Pour un système construit sur les principes du « checks and balances » (qu’on peut traduire par freins et contrepoids), c’est-à-dire un clair équilibre entre les pouvoirs législatif et exécutif, les développements récents jettent une lumière crue sur de trop nombreux exemples de dysfonctionnements majeurs. Ces dérives sont souvent orchestrées par l’Administration elle-même et plus particulièrement l’entourage – aux pratiques mafieuses – du président, pendant que les membres du parti républicain (particulièrement ceux du Sénat) sont restés fort silencieux. Comme l’avaient conçu les esprits fondateurs des Etats-Unis, l’équilibre des pouvoirs et la juste représentation de toutes les particularités régionales constituent les piliers de la démocratie. Doit-on désormais parler au passé ?

La tâche du nouveau président s’annonce donc ardue, s’il veut effacer l’impression désastreuse des dernières années. En 2016, l’usage du pouvoir de manière quasi autocratique d’un président méprisant complètement les opinions d’experts et friand de décisions spectaculaires (le plus souvent à l’emporte-pièce) n’est pas sans conséquences. Nous observons un certain nombre de dérives qui érodent considérablement la confiance qu’on peut encore avoir dans les Etats-Unis, ses institutions et même ses entreprises. Commençons par les manquements crasses des quelques agences fédérales très en vue : la « Securities and Exchange Commission » (en charge du contrôle et de la réglementation des marchés financiers), le « Labor Department » (département du travail qui supervise notamment les fonds de pension), la « Federal Aviation Administration » (agence en charge des règlements et des contrôles concernant l’aviation civile) ou encore la « Food and Drug Administration » (agence en charge de la sécurité des produits alimentaires et médicaments).

Depuis l’entrée en fonction de Donald Trump et la nomination – par ses soins – du président actuel de la SEC, Jay Clayton, un avocat spécialisé dans les activités de banque d’affaires, c’est le silence total sur les manipulations et autres manœuvres discutables des arbitrageurs de court-terme qui ont « envahi » les marchés. Jamais aussi peu de cas d’insiders n’ont été poursuivis.  La mission assignée était claire : tout faire pour permettre aux marchés boursiers de monter ! Dans ce contexte et face à la tendance lourde de la désaffection des sociétés pour la cotation publique, la créativité des banquiers d’affaires a remis au goût du jour les « Special Purpose Acquisition Companies ». Il s’agit essentiellement de coquilles vides (sans activité et sans actifs) qui lèvent des fonds « à l’aveugle » auprès des investisseurs. Ces derniers attendent que les sponsors procèdent à des acquisitions de sociétés attrayantes, pour ensuite les fusionner dans le véhicule, escamotant ainsi le processus classique de l’IPO. Plus de flexibilité au détriment de la sécurité des investisseurs ! M. Trump doit être content des services de M. Clayton puisqu’il l’encourage à occuper la position de procureur du district de Manhattan pour remplacer un autre procureur jugé trop curieux (sur les pratiques commerciales du président) poussé à la sortie par le même M. Trump en juin dernier !

Venons-en au Département du Travail et en particulier à la réglementation qui encadre la gestion des fonds de pension. Ici les modifications visant à explicitement interdire de faire passer tout autre intérêt (essentiellement non pécunier) avant les intérêts économiques des programmes sont largement incomprises. En fait, il s’agit d’un message non voilé contre toute forme de prise en compte de critères de durabilité dans la gestion des capitaux de prévoyance et notamment les critères au détriment des investissements dans les valeurs pétrolières. Le secrétaire général du département, Eugene Scalia, qui doit sa place à son soutien sans réserve pour le président, embrasse sans autre les thèses des « climato-sceptiques » qui encombrent les couloirs de la Maison-Blanche. Fort heureusement, les grands gérants américains comme Fidelity et Blackrock ne s’en laissent pas compter et font opposition à ces inepties.

Tout aussi inquiétante est la complicité coupable de l’agence fédérale de l’aviation avec l’avionneur Boeing. Les faiblesses dans la conception, le design et les systèmes embarqués du désormais fameux avion 737 max étaient connues et cachées par la société dans les procédures de validation (pour exploitation) auprès de l’agence. Le rapport de la commission du Congrès met également en évidence les lacunes et la légèreté des contrôles effectués par le régulateur. Il a finalement fallu deux crashes et des centaines de morts pour que le travail soit fait proprement. Comment peut-on laisser des leaders mondiaux faire leurs tests « grandeur nature » ? 

Mentionnons encore l’agence du contrôle des médicaments qui semblait être prête à valider n’importe quel vaccin sous la pression d’un président, toujours plus soucieux de sa position et de moins en moins de la santé de ses concitoyens. La raison semble être revenue début octobre lorsque l’agence a annoncé la fixation de critères plus stricts (que ceux désirés par la Maison-Blanche) pour une voie rapide d’approbation d’un vaccin Covid. Après avoir longtemps « couvert » les inepties du président au sujet des éléments scientifiques liés à la pandémie et des traitements possibles, le chef de l’agence Stephen Hahn, également nommé par D.Trump, membre de la task force Covid, a cédé à la pression des milieux scientifiques en reprenant le cours de sa mission. On est à nouveau passé près d’un « grand n’importe quoi » ! 

Je pourrais encore enchaîner sur l’affaire TikTok ou sur les pressions indécentes sur le patron de la Réserve fédérale, mais la place manque. Une enquête récente de réputation conduite par l’institut non partisan Pew Research Center (de Washington) révèle que le degré de confiance dans les Etats-Unis est en chute libre. Au moment où les analyses de durabilité font partie intégrante des processus de gestion de portefeuille, il est pertinent de questionner la viabilité de la position dominante des sociétés américaines et leur poids dans les indices de référence. Certes, il existe des sociétés de pointe dans de nombreux secteurs d’activité, mais il est nécessaire d’avoir un regard plus pointu sur les aspects non financiers. Les manquements à la bonne gouvernance et le recours à des pratiques commerciales impropres doivent impérativement être montrés du doigt par les investisseurs et sanctionnés. 

Serge Ledermann, 5 novembre 2020

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