Une grande bassine d’eau froide

par 5.05.2024Finance

Chronique des marchés – Mai 2024

Avril 2024 : phase de digestion

Grosse digestion en avril après 5 mois de hausse. La dernière séance du mois à Wall Street s’est avérée assez pénible dans la mesure où toutes les classes d’actifs se retrouvaient en baisse assez sévère, donnant un sentiment de liquidation générale (pas de signe de rotation) … sans qu’on puisse véritablement trouver une explication rationnelle. Même les partisans du scenario d’un boom inflationniste y perdent leur latin car les matières premières (y compris les métaux précieux) perdaient pied et rien ne parvenait à compenser ces replis. La confusion semble régner à propos du scénario économico-financier, les certitudes du début d’année (atterrissage en douceur, retour de boucle d’or) ayant été « douchées » par les dernières données conjoncturelles et la prudence des banques centrales. Enfin la saisonnalité (un thème que nous abordons chaque année à pareille époque) plaide en faveur d’une correction (tout au moins d’un certain clame) au second trimestre.

Dans le détail, les taux souverains remontent (aplatissement des courbes par les longues échéances, « bear flattening »), les taux courts restent ancrés sur leurs niveaux de début d’année (à l’exception de la Suisse), les bourses corrigent (sauf la Chine) assez brutalement, tout comme l’immobilier coté. Finalement, les matières premières résistent mieux sur le mois, l’or parvenant à finir en hausse légère. Au niveau des devises, le franc suisse reste largement délaissé au profit de devises offrant un portage plus conséquent, en tête desquelles on retrouve le dollar (qui s’apprécie encore de 2% pour une progression de 9% depuis janvier !) qui comble presque l’ensemble de ses pertes de 2023.

Les indices de la prévoyance suisse affichent des reculs en avril : -1,04% pour le LPP25+ (+2,21% pour l’année en cours) et -1,17% pour le LPP40+ (+3,76% pour l’année en cours).

 

Évolution des principaux indices boursiers et économiques depuis le début de l’année (au 30.4.2024, en devises locales)

Source : XO Investments

Les banques centrales à contre-pied

La dernière livraison (le 16 avril) des prévisions du Fonds Monétaire International (FMI) confirme les attentes d’un rythme modéré (+3,2%%) de la croissance mondiale au cours des deux prochaines années (+1,7 – 1,8% pour les économies développées), mais pas de véritable accélération dans une perspectives à 5 ans. La présidente de la Banque Mondiale développe un discours assez pessimiste en dépit d’une croissance maintenue, mais au prix d’une inflation difficile à contenir et un niveau d’endettement préoccupant. Elle insiste sur la nécessité de reconstituer des réserves pour les chocs futurs en s’orientant vers des politiques (monétaires et fiscales) plus équilibrées. Plus vite dit que fait !

 

Nouvelles projections de croissance émises par le Fonds Monétaire International en avril 2024 : grande stabilité dans le temps…

Source : Fonds Monétaires International

 

Dans l’immédiat, l’environnement de croissance molle avec un peu trop d’inflation (au goût des banquiers centraux) persiste. Le Produit Intérieur Brut aux Etats-Unis progresse de 1,6% (sur base annualisée, soit en deçà des attentes de 2,4%) au premier trimestre, en raison de la réduction des inventaires et de la contribution négative du commerce extérieur. Parallèlement, la mesure d’inflation préférée de la Fed (le PCE core) reste accrochée à 2,8% (sur 12 mois), ne parvenant plus à reculer depuis plus de 5 mois.  Par voie de conséquence, les perspectives de baisses de taux directeurs s’éloignent encore.

Les indicateurs avancés (PMI, enquêtes auprès des directeurs d’achats) de la conjoncture mondiale tendent à confirmer que la croissance reste globalement au rendez-vous, mais sans accélération substantielle pour le moment : tassement aux alentours du niveau de 50 aux Etats-Unis, tant pour les services que l’industrie; stabilisation à bas niveau (42.4) pour le secteur manufacturier européen alors que les services poursuivent sur leur tendance d’expansion. La croissance en zone euro surprend un peu au premier trimestre en s’inscrivant en légère progression de 0,3% (trimestre sur trimestre) grâce l’investissement et le commerce extérieur.
 

La consommation des ménages est restée solide aux Etats-Unis, mais l’épargne excédentaire crée au moment du Covid est désormais consommée… (en milliards de dollars), c’est la bonne tenue de l’emploi qui permettra aux dépenses de consommation de se maintenir.

Source : Pictet Asset Management, Refinitiv

 

Évolution stable au Japon, malgré un niveau d’inflation plus élevé. Enfin, de meilleures nouvelles en provenance de Chine avec un premier trimestre plus solide (+5,3% sur 12 mois glissants), grâce au regain (temporaire ?) de consommation liée au nouvel an chinois et la reprise marquée de la production industrielle (attention au surstockage !). Les indicateurs avancés publiés à fin avril montrent une activité industrielle stable, mais une consommation toujours assez molle, le niveau de l’emploi restant insatisfaisant. Enfin en Suisse, les perspectives de croissance demeurent modérées et l’inflation sous contrôle.

 

Les indices avancés de l’activité économique oscillent autour du niveau de 50 (stabilité), tant aux Etats-Unis qu’en Europe

Source : BCV/LSEG

 

L’inflation consolide globalement son recul, mais peine à s’approcher des objectifs ultimes des banques centrales. La principale donnée scrutée par la Fed concernant l’évolution des prix stagne à +2,8% sur 12 mois glissants, idem en zone euro avec un niveau stable à +2,4% (+2,8% ex-alimentation et énergie). Ce qui rend l’analyse récente plus préoccupante est que l’inflation mesurée sur 6 mois annualisés repart à la hausse fortement influencée par les salaires et la fermeté de la demande des ménages. La dernière livraison (trimestrielle) de la statistique sur l’évolution des salaires américain (Employment Cost Index) fait état d’une progression encore importante (+4,8% annualisé). Dans ce contexte (et en raison de la robustesse du marché de l’emploi), il n’y a pas nécessité à agir pour la Fed. Au plus 3 baisses prévues en 2024 pour les deux grandes banques centrales (mais avec beaucoup moins de certitudes pour la Fed, certains experts n’attendant désormais plus aucune baisse cette année !).

De son côté, la Banque européenne montre plus d’optimiste quant à l’atteinte en 2024 de l’objectif de 2%, ce qui renforce la thèse d’une première baisse en juin. Toutefois, un trop grand décalage temporel avec les actions de la Fed pourrait affaiblir par trop l’euro, ce qui irait à fin contraire. 

A l’inverse au Japon, la situation sur le front des prix est moins favorable (sans être inquiétante), sans que cela inquiète le grand argentier nippon. Sa décision récente de laisser ses taux inchangés à 0% et de « transférer » la responsabilité de la valeur extérieure du yen au ministère des finances (qui gère les interventions de change) le démontrent. Dans ce contexte et devant le peu d’empressement à renforcer la devise (qui semble fortement sous-évaluée désormais), l’érosion du yen va probablement se poursuivre (une stabilisation à environ 160 yen par dollar serait plausible dans les mois à venir).

 

Les attentes de baisses massives des taux directeurs dans le monde se sont beaucoup refroidies au cours des dernières semaines (ligne grise = projection au 1.1.24, ligne blanche = projection au 1.3, ligne bleue = projection au 29.4) ; seul « outlier », le Japon.

Source : John Authers/Bloomberg

 

La stabilisation conjoncturelle en Chine semble se dessiner, malgré la faiblesse persistante de l’immobilier. Les indicateurs avancés de la production industrielle montrent des signes de reprise. La Banque centrale s’étant finalement résolue à améliorer les conditions de liquidité et de crédit, les risques d’un tassement plus prononcé de la croissance se sont éloignés. Les taux restent stables malgré les pressions déflationnistes persistantes. Là aussi, l’érosion par rapport au dollar se confirme, alors que la fermeté par rapport au yen inquiète dans le contexte d’une vive concurrence commerciale. 

Globalement, l’image conjoncturelle actuelle est celle d’une économie mondiale résiliente, mais assez différenciée selon les régions, ce qui se traduit par des politiques monétaires désormais plus divergentes. La désinflation persistante de « l’avant Covid » fait désormais place à une inflation plus « collante » dans les pays développés. Sans perturbation majeure (toujours possible dans l’environnement géopolitique instable du moment), l’exercice 2024 devrait confirmer le retour vers une configuration croissance-inflation plus en ligne avec les valeurs de long terme (c’est-à-dire avant GFC de 2008). Après un rebond assez massif (en 2020 et ensuite à nouveau en 2022), la liquidité mondiale est à nouveau en phase de contraction, ce qui généralement freine l’avancée des actifs risqués. Nous nous attendons à une stabilisation, voire reprise d’ici la fin de l’année, la Fed pouvant prochainement arrêter la réduction de son bilan (Quantitative Tightening). C’est donc la politique fiscale qui porte en ce moment la conjoncture dans de nombreuses régions, mais celle-ci a ses limites comme de nombreux économistes ne manquent pas de le signaler.  

Les tensions géopolitiques ne se sont pas apaisées au cours des dernières semaines. Le Proche Orient est en tension extrême, les négociations de cessez-le-feu restent en l’air, l’Ukraine s’arcboute contre les coups de butoir russes (mais l’aide arrive, est-ce suffisant ou trop tardif ?), la Chine poursuit sa campagne d’intimidation sur Taiwan (avant que le nouveau premier ministre prenne ses fonctions). Aussi longtemps que les grands agrégats monétaires et financiers ne sont pas durablement affectés par les conflits, les investisseurs peuvent garder leur calme. Toutefois et comme déjà évoqué, la sécurité (technologique, approvisionnement, militaire) prime sur le « mieux-disant », ce qui contribue déjà à maintenir un socle d’inflation plus élevé. L’élection présidentielle américaine promet d’être disputée, Donald Trump bénéficiant toujours d’un léger avantage dans les sondages sur le président sortant. Son approche de l’exercice du pouvoir et de la démocratie (s’il devait être élu) ne peut qu’inquiéter. Les Américains choisiront-ils l’imprévisibilité et l’esprit de revanche au conservatisme et la stabilité ?

Au niveau des marchés, l’importance prise par les « magnificient 7 » et plus largement certaines thématiques comme l’Intelligence Artificielle, le traitement des données, les médicaments contre l’obésité ou encore les investissements dans la transition climatique captent véritablement l’attention des investisseurs. Si nous n’oublions pas d’être présents dans ces thèmes, nous nous intéressons structurellement et plus largement aux vrais « compounders » (quels que soient les secteurs d’activité), ainsi qu’à d’autres segments de la cote qui ont accumulé un retard excessif (santé, consommation courante, industrie, voire finance spécialisée).

Les attentes bénéficiaires s’améliorent, confirmant ainsi la sortie de la « earnings recession » de 2023. Pour l’heure, la publication des résultats au titre du premier trimestre aux Etats-Unis fait état d’une majorité de surprises positives. Ainsi la progression pour l’ensemble du marché devrait s’élever à +3% pour le trimestre avec une amélioration à environ +9% d’ici le 3ème trimestre. En ce moment, ce sont les secteurs des services de communication, de la technologie et de la consommation discrétionnaire qui inscrivent les hausses les plus fortes (environ 20%), alors qu’on retrouve encore l’énergie et la santé à la traine. Même trajectoire (mais décalée d’un trimestre) en Europe, le premier trimestre étant encore en recul (année sur année) de plus de 10% en raison surtout de l’énergie, alors qu’ici la santé et les financières résistent très bien. A partir du 3ème trimestre, les perspectives de progression des bénéfices sont beaucoup plus encourageantes avec des hausses attendues de près de 10%. Les leaders en la matière se recrutent parmi les industrielles et les matériaux, de même que les financières (y compris les valeurs immobilières cotées !). Plus globalement, nous notons que les marges des entreprises résistent bien malgré la montée des taux (la plupart des entreprises concernées ayant soit refinancé leur bilan à bon compte, soit bénéficient de rendements positifs lorsque leurs bilans sont bien achalandés).

Nous retrouvons quelques fils rouges dans l’évolution des entreprises et de leurs bénéfices. Les principaux bénéficiaires de l’éclosion des applications d’Intelligence Artificielle sont les fournisseurs d’équipement (semi-conducteurs, développeurs de logiciels pointus, capacité de calcul et de stockage de la donnée, cloud, etc…), mais également de manière croissante les « early adopter » (quels que soient les secteurs) qui mettent en musique ces nouvelles applications. Également de nombreuses valeurs industrielles présentent des perspectives attrayantes lorsqu’elles sont directement impliquées dans l’optimisation des processus de production ou dans la transition énergétique, de même que les extracteurs/transformateurs de métaux/composants stratégiques. Ces attentes s’inscrivent évidement dans un contexte de reprise modérée de la croissance et de poursuite des investissements dans la transition digitale et climatique.

 

Bénéfices annoncés (realized) vs bénéfices attendus (consensus) pour l’indice S&P 500, année sur année par trimestre (2022-2024)

Source: John Authers/Goldman Sachs/FactSet

 

Consolidation des marchés des actions après un début d’année en boulet de canon

Notre cadre de réflexion s’articule toujours autour de notre prisme « 5 D » : Démondialisation (que nous préférons appeler fragmentation), Digitalisation, Démographie, Décarbonation et Dettes. Le monde est devenu soudain plus dangereux et instable, les autocrates gagnent du terrain et les bastions de la démocratie sociale libérale reculent. Les investisseurs s’ajustent progressivement sur un cadre de « croissance inflationniste », focalisant désormais leur attention plus sur la croissance (et non pas uniquement sur les taux). L’intention de retrouver une plus grande « souveraineté industrielle » se manifeste clairement dans le monde occidental (« friendshoring »). Enfin, la soutenabilité de la dette souveraine constitue un enjeu considérable.  

 

  1. Le sommet des taux directeurs est atteint. Cependant, le pivot se met en place péniblement. Les grands argentiers (Fed en tête) ont calmé les attentes de baisse exagérément optimistes en début d’année.

     

  2. L’horizon sur les taux s’est partiellement éclairé en fin d’année 2023 à la faveur de discours rassurants des banquiers centraux. Toutefois, après s’être considérablement inversées, les courbes s’aplatissent à nouveau, incorporant désormais le rythme plus pédestre des baisses de taux directeurs. Des positions de « couverture » (pour le scenario conjoncturel moins favorable) sont reconstituées, mais la conviction d’une majorité d’investisseurs évolue désormais entre « soft landing » économique et « no landing ». La remontée des taux souverains à 10 ans a à nouveau précipité les performances obligataires dans le rouge après 4 mois (entre -1 et -3% pour les segments des souverains à duration moyenne), seuls les crédits à hauts rendements parvenant à mieux résister. L’amélioration de la notation de crédit pour les segments les moins risqués du « haut rendement » et l’éloignement du « mur de refinancement » permettent toujours d’escompter une performance appréciable. Le niveau plus confortable de portage offre une protection non négligeable en période d’ajustement de taux à la hausse. Par ailleurs, les taux réels évoluent en territoire positif depuis de nombreux mois, alors que les attentes d’inflation à moyen terme stagnent à environ 2,5%.

     

Les segments du crédit offrent toujours la meilleure protection en cas de hausse des taux, malgré des spreads en bas de fourchette historique : Tableau des niveaux de hausse de taux (breakeven) pour commencer à générer des moins-values sur un (hedgé en CHF).

Source : Pictet Asset Management, Bloomberg

 

En zone euro, les taux souverains, comme ceux du crédit, ont suivi la remontée des taux US, avec une moindre ampleur toutefois. De son côté, le marché obligataire suisse reste assez bien entouré, mais n’offre désormais plus aucune protection à la hausse des taux.

Nous maintenons notre approche diversifiée par segment en se concentrant majoritairement sur le dollar, l’euro et le franc suisse. Si nous avons privilégié le crédit (qualité et surtout haut rendement) jusque-là et les durations courtes, nous pouvons considérer que le mouvement de correction sur les taux longs, tant aux Etats-Unis qu’en Europe, est largement opéré. Dès lors, un repositionnement sur le crédit de qualité, voir le souverain avec une duration moyenne se justifie (sans pour autant augmenter l’exposition générale). En Suisse, le rendement à l’échéance (duration 7 ans) de l’indice SBI est de 1,3% ne laisse que peu de place à l’appréciation du capital.

Rendements à l’échéance (en %) des obligations de la zone euro et du trésor américain (indice des emprunts à 7ans et agrégés) : remontée claire des taux depuis janvier

 

Source : BCV/LSEG Datastream

 

  1. La dynamique impressionnante des bourses depuis novembre 2023 s’est brusquement interrompue en avril. La résilience de l’économie mondiale et la solidité générale des résultats des entreprises entretiennent l’engouement, alors que l’espoir de baisse importante des taux directeurs s’atténue. Dans ce contexte plus indécis, les investisseurs hésitent. Dès la fin de la saison d’annonces de résultats pour le premier trimestre (qui se passe plutôt bien), ils se nourriront aux données sur l’inflation et aux commentaires des banques centrales. Si une baisse de taux directeur de la part de la Fed est quasiment exclue en juin, c’est la BCE qui pourrait entrer en jeu le 6 du mois. Comme il s’agit d’une grande année électorale (dans le monde et aux Etats-Unis plus spécifiquement), une dynamique particulière tend à animer ces millésimes. Si statistique ne rime pas avec vérité, nous observons qu’une certaine saisonnalité existe concernant la trajectoire de l’indice américain (qui demeure le « phare » pour les bourses mondiales). Après un fort démarrage (supérieur à +5% au premier trimestre), la tendance devient généralement hésitante et heurtée jusqu’en été avant de se reprendre.

Les grandes valeurs de la Tech continuent à influencer grandement la tendance américaine. Si Meta et Tesla ont déçu pour des raisons qui leur sont propres, Microsoft, Alphabet et Amazon ont confirmé leur dominance, grâce à leurs fortes présences dans le cloud et les centres de calcul notamment. Nous gardons nos positions dans ces segments.

Saisonnalité de l’indice S&P500 en année électorale (et en cas de forte hausse au 1er trimestre) : ligne bleue =2024 jusqu’à fin avril ; ligne jaune = moyenne des années 1956, 1964, 1972, 1976, 2012)

Source : Banque Syz, FactSet, Yahoo! finance

 

Notre conviction d’un élargissement à venir de la participation, sélectivement les valeurs secondaires délaissées (mais rentables), les valeurs de croissance de qualité et de manière grandissante les valeurs défensives « lessivées » (comme la santé), reste de mise, même si elle tarde à se confirmer. Nous observons également un regain d’intérêt pour les valeurs financières (à la faveur de la remontée des taux et la perspective de reprise économique). Les Etats-Unis, l’Europe et le Japon constituent le cœur de notre portefeuille en actions, le marché américain restant largement pondéré (rappelons que les actions US occupent près de 70% de l’indice mondial). Les soutiens à l’industrie (aux Etats-Unis et en Europe) pour les investissements dans la transition climatique ou pour la sécurisation de l’approvisionnement en composants stratégiques se poursuivent. Ainsi, les valeurs industrielles spécialisées doivent à nos yeux appartenir à tout portefeuille diversifié. Aussi longtemps que le dollar et les taux américains demeurent élevés, les marchés émergents auront de la peine à surperformer.

La Suisse reste à la traine en raison de la composition de son indice et son manque d’exposition à la technologie. Les valeurs secondaires (industrielles notamment) présentent un réel intérêt.

Sur un plan technique, les positions « à découvert » ont fortement progressé ces dernière semaines, symptomatique d’un retour du scepticisme et des craintes de débordement géopolitique. Comme évoqué dans la dernière chronique, nous avons décidé en début de mois de réduire notre exposition aux actions (retour à la position neutre) en conservant les liquidités ainsi générées sur des produits de taux à faible duration.

 

Performance de l’indice SMI des actions suisses en absolu et en relatif par rapport à l’indice mondial (2010 – 2024, en CHF)

Source : Julius Baer Research/Bloomberg

 

  1. Au sein des actifs de diversification, les métaux précieux gardent plus que jamais leur place de choix. Il existe en effet plusieurs raisons pour expliquer cet engouement. Si les tensions géopolitiques figurent certainement dans la liste, ce sont plutôt un mélange de défiance par rapport aux « monnaies fiduciaires » et la volonté de diversification des réserves de change de la Chine notamment qui confèrent un soutien fort et récurrent.

     

Modification annuelle des réserves d’or des banques centrales (2020-2023) : la Chine et l’Inde aux avant-postes

Source : Banque Syz/The Kobeissiletter

 

Nous conservons nos positions (malgré la hausse spectaculaire des métaux précieux) comme actif de diversification performant. De son côté, le secteur énergétique reste très imprévisible par nature, mais constitue un bon « hedge » en période de trouble géopolitique. Enfin, les métaux industriels (et/ou stratégiques) comme le cuivre surtout, mais aussi le nickel et le zinc sont indispensables dans la transition climatique et dans les infrastructures électriques. Il manque des capacités importantes (essentiellement de nouvelles mines) pour faire face à la demande des 20 prochaines années. Le rapprochement (inamical pour le moment) entre BHP Billiton et Anglo American vise précisément à consolider et/ou développer de nouvelles capacités en la matière.

 

  1. Le retour d’intérêt pour les actifs réels de qualité reste timide. L’immobilier coté international peine à retrouver de l’allant, plombé par les taux (toujours trop hauts) ou un taux de vacance souvent élevé (si la localisation ou le niveau de vétusté ne sont pas favorables). Le segment « commercial » reste en difficulté aux Etats-Unis et en Europe. L’immobilier résidentiel et les immeubles à vocation plus sociale demeure bien entourés.

     

L’influence des taux d’intérêt reste déterminante pour l’évolution du secteur de l’immobilier coté, tant aux Etats-Unis qu’en Europe (graphique ci-dessous) : ligne blanche = indice des Real Estate Investment Trusts en Europe ; ligne bleue = taux d’intérêt à 10 ans de l’Etat allemand inversé

Source : John Authers/Bloomberg

 

En Suisse, en avril, le marché a été affecté par la distribution des dividendes des sociétés immobilières et de nombreux fonds. Par ailleurs, la période a été chargée en augmentations de capital, ce qui tend à peser sur les cours de l’ensemble du secteur, induisant un repli important en quelques semaines. Il faut s’attendre à une consolidation aux niveaux actuels au pour les prochains mois.

 

  1. Le franc suisse s’étiole encore, pénalisé par l’élargissement des écarts de rendement (après la décision « en solo » de la BNS en mars). Les réductions de taux seront probablement désynchronisées, la Fed ne se montrant pas pressée d’agir, alors que la BCE sent le besoin de ne pas trop attendre. A l’inverse, le Japon sort des taux négatifs et la Chine cherche à stabiliser sa devise. On pourrait donc assister à une période un peu moins calme dans les marchés de change.

     

Le dollar caracole contre toutes les devises (cassure à la hausse contre les devises à faibles rendements, consolidation contre les devises émergentes, au plafond contre les devises plus cycliques)

Source : Julius Baer Research/Bloomberg

 

Attitude constructive, mais prudente

Après un premier trimestre de 2024 très dynamique pour les portefeuilles diversifiés grâce surtout à l’excellente performance des actions et dans une certaine mesure des matières premières (quand elles sont présentes dans l’allocation) et du dollar, la consolidation/correction était attendue à mesure que le soutien des taux s’évaporait.  Toutefois, l’environnement économique reste « encourageant », l’inflation reflue (trop lentement peut être) et les entreprises se projettent avec optimisme dans l’avenir. Les investisseurs semblent désormais tabler sur une croissance plus inflationniste (selon la dernière enquête de BofA Global Fund Managers) en réduisant l’exposition aux obligations au profit de secteurs plus cycliques.

Les principaux risques demeurent la reprise de l’inflation et la déstabilisation géopolitique. La hausse des valorisations des actions (notamment aux Etats-Unis) les rend particulièrement « onéreuses » par rapport aux obligations qui ont retrouvé de la hauteur en termes de taux et de rendements réels.

En avril, les investisseurs ont bougé en direction des segments plus cycliques au détriment des obligations et de l’immobilier

Source : BoA Fund Managers Survey, avril 2024

 

La recherche de vecteurs de diversification (or, matières premières stratégiques, immobilier) reste d’actualité. Par conséquent, une approche plus équilibrée entre les deux classes d’actifs traditionnelles et les actifs réels se justifie.

Pour l’heure, nous conservons nos allocations de moyen terme proches des points neutres (après avoir réduit la surexposition en actions au début du mois d’avril) afin de participer pleinement au portage proposé par les marchés de taux et la dynamique des actions de qualité. Nous attendons une consolidation de tous les marchés (y compris du dollar) d’ici le début de l’été. Nos portefeuilles diversifiés « classiques » demeurent composés d’actions (de l’ordre de 40 %), d’obligations (25 à 35 %) et d’actifs de diversification (convertibles, immobilier et infrastructure, métaux précieux) pour 20 à 30 %. Les attentes de performances demeurent positives pour les 6 à 9 prochains mois, ce d’autant plus après les reculs de cours d’avril.

 

Tannay, le 3 mai 2024

Serge Ledermann

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