Une belle râclée

par 1.12.2024Finance

Chronique des marchés – Décembre 2024

Novembre 2024 : que reste-t-il du « Trump trade » ?

Tous les regards étaient orientés vers le scrutin américain du 6 novembre. Contrairement à tous les sondages, la victoire de D. Trump et du camp républicain est totale, constituant probablement une des plus grandes surprises électorales des temps modernes. Comme nous le savons, les Etats-Unis ne sont pas à un paradoxe près… Les citoyens sont capables de faire une large confiance à un personnage qui n’aurait même pas dû pouvoir se présenter, vu ses antécédants et son comportement. En réalité, il s’agit d’un vote de rejet de l’establishment et de rancœur contre les (soi-disant) élites de Washington, le parti démocrate n’ayant pas compris le ressentiment de la population. Les arguments simples sur le niveau de vie, l’immigration et la sécurité (avec de claires connotations racistes) ont largement fait la différence. Nous avions évoqué dans notre chronique précédente que les marchés financiers avaient déjà donné leur verdict en favorisant le « Trump trade ». Durant les jours qui ont suivi le vote, les ajustements de positions ont été en rapides et clivants : hausse des valeurs américaines, du dollar et des taux US, baisse des autres marchés des actions. Les grands gagnants sont le Bitcoin et Tesla, nous y reviendrons. Les prémices étaient simples (voire simplistes) : protectionnisme/tarifs, baisse des impôts, déréglementation et contrôle de l’immigration, donc un programme pro-croissance et potentiellement inflationniste. Quelques jours plus tard, les analyses plus rationnelles sont apparues, au fur et à mesure que les membres des nouvelles équipes gouvernementale sont dévoilées.

Les bourses mondiales finissent le mois en bonne hausse, mais c’est uniquement le fait des Etats-Unis, le reste du monde subissant déjà les effets de l’isolationnisme annoncé de la nouvelle administration. Les marchés obligataires sont finalement assez calmes : pas de dérapage incontrôlé des taux longs aux Etats-Unis, crainte de plus fort ralentissement conjoncturel dans le reste du monde en raison de la guerre commerciale qui pointe son nez. Le dollar caracole. Le Bitcoin s’envole et prend la place (momentanément ?) de l’or comme actif de diversification. 

Au sein des secteurs du marché boursier américain (mais également sur un plan plus général), ce sont les valeurs financières (bénéficiaire probable des mesures d’allègement réglementaire) et la consommation discrétionnaire qui apprécie le « red sweep » (mais aussi l’énergie), alors la santé et la consommation de base sont à la traine depuis l’élection.

 

Évolution sectorielle de la cote américaine depuis l’élection (5 novembre)

Source : Charlie Billelo

 

Les indices de la prévoyance suisse stagnent en novembre (-0.5% pour l’indice LPP 25+, -0,6% pour l’indice LPP 40+) pour s’inscrire en hausse de respectivement + 7,7% (pour LPP 25+) et +10,4% (pour LPP40+) sur l’année, ce qui constituent des performances remarquables.

 

Évolution des principaux indices boursiers et économiques depuis le début de l’année (au 28.11.2024, en devises locales)

Source : XO Investments

 

« Boucle d’or » au défi et les « bonds vigilantes » comme arbitres

La majorité des prévisions conjoncturelles publiés récemment font état d’une situation stable (environ 3% de croissance mondiale pour 2024 et 2025) avec une inflation qui revient dans les paramètres souhaités par les principales banques centrales. Toutefois, l’arrivée de Trump à la Maison Blanche est de nature à modifier la donne, tant son profil « anti-système » et isolationniste promet de trancher avec le passé. La gestion des barrières tarifaires inquiète la planète entière, même si les observateurs aguerris de la « Trumposphère » considèrent qu’il s’agit autant (sinon plus) d’une arme de négociation que d’un outil financier. Par ailleurs, la nomination de Scott Bessent (star de Wall Street, considéré comme un véritable expert en finance et économie) apporte apaisement et confiance dans l’approche économique à venir. Il a déjà fait état d’un concept 3/3/3 (à savoir 3% de déficit budgétaire, 3% croissance, 3 millions de barils produits de plus par jour) visant à promouvoir la croissance sans causer de dérapage budgétaire, reste à savoir comment… Par ailleurs, la nomination du « Chief-Disrupter-Officer » Musk à la tête d’un nouveau département (DOGE pour Department Of Government Efficiency) visant à rendre les services du gouvernement plus efficaces promet de nombreuses péripéties. L’objectif annoncé est de réduire de 2’000 milliards de dollars les dépenses annuelles sur un budget de l’ordre de 7. Comment s’assurer que les conflits d’intérêt soient gérés avec soin et éthique ? L’ensemble des experts (économistes, analystes, stratégistes) se confondent en conjectures pour tenter de cerner les contours du programme 2025-2028. Tous les calculs, évaluations, modèles économiques sont triturés dans tous les sens pour essayer de comprendre les impacts des différentes mesures. Nous faisons face à une équation à multiples inconnues. Les impôts pourraient baisser (certainement ne pas remonter), les dépenses devraient être plus contenues (fonctionnement de l’état, soutien à l’Ukraine, tarifs) pour compenser les largesses fiscales, la réglementation sera allégée dans tous les domaines (y compris l’environnement) et l’immigration contrôlée (alors que la population nationale en âge de travailler ne progresse plus…). Soit autant d’objectifs peu cohérents entre eux, mais dont le rythme d’implémention importera pour mesurer les impacts économiques. Les craintes d’une perte réelle d’indépendance de la Fed sont à nos yeux exagérées, même si la prise d’influence sera certainement palpable.

Dans le même temps, l’Europe se montre toujours aussi désunie et hésitante. Les craintes géopolitiques s’ajoutent aux anxiétés commerciales. La Pax Americana qui a régi les relations occidentales depuis la seconde guerre mondiale s’érode dangereusement. Les institutions internationales créées à cette occasion ont largement perdu de leur influence. L’Organisation Mondiale du Commerce patine. Le monde se transforme en zones d’influence dans lesquelles l’Europe parait affaiblie. La région espère donc créer un nouveau cadre de « relations transactionnelles » avec la nouvelle administration américaine. Mme Lagarde propose même une « cheque-book strategy » pour affronter la nouvelle administration. Mme van de Leyen suggère d’acheter plus de gaz liquéfié. Pour l’heure, l’Europe est essoufflée économiquement comme en témoigne l’évolution des indicateurs avancés publiés pour novembre, avec confirmation de l’affaiblissement de l’activité manufacturière et la mollesse plus récente de l’activité dans les services. La France et l’Allemagne sont à la traine, perturbés chacun de leur côté par des difficultés industrielles (automobile, acier, agriculture notamment) et par voie de conséquence des gouvernements chahutés. L’Allemagne passera aux urnes en février, alors que le gouvernement Barnier ne tient qu’à un fil. Le rapport Draghi, prônant des mesures d’amélioration de la compétitivité, tout en desserrant le carcan de la réglementation écologique (sans abandonner pour autant les objectifs de décarbonation), fait tout son sens. La voie est ouverte pour une baisse importante des taux directeurs en décembre.

Enfin en Chine, première nation visée par Trump, on se prépare également à la guerre tarifaire, soit en répondant (« Tit for Tat »), soit en se protégeant. Les armes seront l’instauration de tarifs sur certains produits clé, des restrictions à l’exportation de produits essentiels pour l’industrie américaine (composants chimiques, métaux stratégiques) et/ou dévaluation de la devise notamment. En tout état de cause, si Trump impose des tarifs élevés, la croissance chinoise (qui repose encore grandement sur son commerce extérieur) sera affectée (passant de 5% actuellement à 3,5-4%) en 2025/2026.

Difficile de savoir quels seront les arguments utilisés : représailles, protection ou négociation ? En tout état de cause, les principales variables d’ajustement dans le bras de fer commercial seront les taux d’intérêt (à la baisse) et les devises (dévaluation par rapport au dollar).

A ce stade, tant les indices de confiance que les indicateurs de l’activité économique divergent entre les Etats-Unis (en amélioration) et l’Europe et la Chine (en tassement). Cela va certainement encourager la Banque centrale européenne à baisser fortement (50 bp) ses taux le 12 décembre prochain, élargissant ainsi le différentiel avec les Etats-Unis (qui ne pourraient baisser que de 25 points de base le 18 décembre). Depuis le « red sweep », les attentes en matière de réduction de taux se sont fortement calmées chez l’Oncle Sam. Par ailleurs et comme attendu, l’inflation ne recule plus. La mesure favorite de la Réserve fédérale sur l’évolution des prix (core PCE, le Personal Expenditure Price Index, publié pour le mois d’octobre) remonte à +2,8% sur un an (alors que la mesure complète monte légèrement à + 2,3%, soit un niveau comparable avec celui d’avant la pandémie). Si les prix des biens (y compris énergie) poursuivent leur recul, ce sont les services qui restent en dynamique haussière. Le programme « trumpien » est clairement inflationniste, l’indice des prix pourraient allégrement dépasser le niveau de 3% en 2025. La désinflation est également en panne (mais probablement de manière temporaire seulement) en Europe avec une reprise du taux d’inflation à 2,3% en novembre (après avoir touché 1,7% en septembre) sur 12 moins glissants (le « core » sans énergie et produits alimentaires stagne à + 2,7%).  En Suisse, le taux d’inflation se maintient confortablement en dessous de 1% (+0,6% en glissement annuel en octobre). Plus généralement, le contexte plus favorable sur le front des prix (par rapport à 2023) a permis aux banquiers centraux de confirmer la détente monétaire. Toutefois, chacun détermine ses priorités en fonction de son contexte propre : aux Etats-Unis, la Fed observe ce que va faire la nouvelle administration ; en Europe, c’est la dynamique économique qui redevient la priorité et en Suisse c’est la valeur extérieure de la devise. L’Europe a mal à son « modèle d’entreprise » et souffre de sa politique d’approvisionnement, notamment en matière énergétique. Les gains de productivité restent insuffisants. La pression est grandissante et la réaction se fait attendre… Au Japon, la continuité semble assurée pour l’heure, même si M. Ishiba doit gouverner sans la majorité du parti démocratique libéral. La prochaine réunion de la BoJ aura lieu juste avant Noel et l’accident de juillet devrait servir de leçon… Rien de dramatique à attendre d’après nous.

 

Divergence dans les indicateurs de sentiment entre les Etats-Unis et l’Europe depuis début 2024

Source : Julius Baer/MacroBond

 

Nous ne résistons pas à mentionner la farce que constituent les dernières COP qui se tiennent dans des pays qui ne pensent qu’à vendre leur énergie fossile au reste du monde. Les débats sont intenses et largement improductifs à notre humble avis. Les déclarations finales sont les fruits de compromis édulcorés et ne présentent aucune avancée en réalité. Les montants exprimés ne sont que des alibis. Nous ne doutons pas que la transition est en cours, mais les efforts sont encore insuffisants (alors que les moyens techniques et financiers existent) car souvent freinés par des intérêts politiques ou partisans. La recrudescence de dégâts climatiques partout dans le monde devrait rappeler à chacun le coût humain et financier de l’attentisme.

Les tensions géopolitiques poursuivent leur escalade, la Russie poursuivant sans relâche (et à force de pertes humaines considérables) son rêve impérialiste, alors que le Proche-Orient reste à feu et à sang. La stratégie de terre brûlée à Gaza et au sud Liban semble permettre la mise en place d’un cessez le feu, dont on espère qu’il pourra apporter un peu de calme et déboucher sur une solution politico-diplomatique. La position de la nouvelle administration américaine dans ces deux conflits sera déterminante pour les prochaines années. Les blocs idéologiques restent crispés. Les vantardises pré-électorales de Trump seront vite confrontées à la réalité du terrain.

Malgré tous ces obstacles, l’économie mondiale est restée résiliente. Par voie de conséquence, l’atterrissage en douceur et/ou le contexte de « boucle d’or » demeure d’actualité. Les « bonds vigilantes » seront les arbitres.

La nouvelle doctrine « trumpienne » sera vite confrontée à l’épreuve du terrain

Nos 5 D (Démondialisation, Digitalisation, Démographie, Décarbonation et Dettes) restent à l’ordre du jour, mais nécessitent d’être constamment revisités à l’aune des récents développements économiques et politiques : nouvelle administration américaine, développements militaires, leadership européen, réactivité politique de la Chine, … Notre souci de gestion disciplinée des risques nous incite à pondérer les facteurs de risque en les répartissant sur différentes zones géographiques (en maintenant une pondération significative aux Etats-Unis) et des vecteurs variés (secteurs, taille). Dans l’hypothèse de la poursuite d’une croissance mondiale assez molle et d’une inflation sous contrôle, il nous apparait qu’un poids majeur dans les titres des marchés développés (tout en regardant l’exposition globale aux zones et segments de croissance) reste adéquat. L’allocation dans les métaux précieux et dans certaines matières premières comme diversification en cas de « coup dur ». La diversification en dehors du franc suisse n’excède pas 30% du portefeuille.

 

  1. Le sommet des taux directeurs est dépassé. Les perspectives de baisse à venir sont clairement exprimées, mais le rythme demeure incertain, principalement aux Etats-Unis.

 

  1. L’évolution récente des taux américains exprime (de manière assez douce toutefois) le retour des préoccupations des investisseurs face au creusement des déficits et la prise en compte d’une conjoncture toujours robuste. L’image n’est pas la même en Europe, en Chine ou encore au Japon, où l’anxiété à propos de mesures (potentielles) américaines pourraient avoir un effet déprimant. Les courbes se « repentifient » fortement, avec des taux longs qui repartent à la hausse au moment où les taux directeurs reculent lentement.

 

Les rendements (à l’échéance en %) sont à nouveau à la hausse depuis octobre dernier aux Etats-Unis, mais l’Europe ne suit pas : la divergence s’installe.

Source : BCV/Datastream

 

Le segment du crédit (principalement le segment High Yield) a été très recherché en novembre (post élection) malgré des spreads déjà compressés. Les investisseurs se montrent convaincus qu’aucune récession n’arrivera ces prochains temps, le programme « trumpien » étant pro-croissance. Nous considérons que cette compression est excessive, mais elle soutenue par des facteurs techniques (flux, rareté, préférence pour le crédit coté) favorables. La remontée des taux souverains US présente à nouveau un intérêt pour les investisseurs de long terme. La dette émergente qui avait retrouvé des partisans souffre à nouveau ; Trump, la hausse du dollar et la remontée des taux fragilisant à nouveau ce segment. Nous gardons toutefois une exposition secondaire pour la dette des pays ayant conduit des politiques budgétaires rigoureuses.

Nous maintenons notre approche diversifiée par segment en se concentrant majoritairement sur le dollar, l’euro et le franc suisse. Nous continuons à privilégier le crédit (portage toujours attrayant, rémunérateur et protecteur en cas de hausse des taux de base) avec une duration toujours modérée. En Suisse, le rendement à l’échéance des emprunts longs de la Confédération est proche du plancher, ce qui ne laisse que peu de place à l’appréciation du capital.

           

  1. La bonne dynamique des bourses en 2024 se confirme en novembre mais de manière très clivante, les Etats-Unis poursuivant leur domination sur le monde. Tous les allocateurs se grattent la tête pour organiser optimalement leurs portefeuilles en optimisant les paramètres de valorisation, dynamique bénéficiaire et diversification. Les actions américaines occupent environ 70% des indices boursiers globaux et au sein de ce segment, les 10 plus grandes valeurs représentent 36% (le plus haut niveau de concentration depuis 1936). Ces dernières années, malheur à ceux qui sont restés à l’écart ! Nous considérons qu’il n’est pas concevable de s’éloigner de ces pondérations globales, tant que la dynamique des sociétés américaines (prochainement soutenues par le programme de la nouvelle administration) reste robuste. Toutefois, il est raisonnable de réduire l’exposition aux « mega-caps » pour s’intéresser aux autres valeurs de qualité dans d’autres segments du marché (secteurs et taille). La version équipondérée de l’indice S&P500 ou encore les valeurs secondaires confirment discrètement leur retour.

 

Évolution encourageante des valeurs secondaires (mesurées par l’indice S&P global 600, le plus haut niveau historique est atteint et la performance relative s’améliore nettement

Source: Julius Baer Research/Bloomberg

                                                                                            

Il nous apparait toujours que l’exceptionnalisme américain prévaut à la lueur de la rentabilité moyenne des entreprises américaines, du rôle dominant de la technologie (notamment l’IA) qui génère une demande importante de matériel et de logiciels, de l’usage accru des outils digitaux dans la gestion des entreprises et maintenant des soutiens massifs promis par la nouvelle administration. Dans ce contexte, il convient de suivre (comme toujours) avec attention l’évolution (et les attentes) en matière de bénéfices. Aussi longtemps que la dynamique reste positive, les cours sont appelés à progresser, même si cela se fera à un rythme moins soutenu vu la base de départ élevée actuelle. L’élargissement de la cote permettra également d’aller rechercher des sociétés de qualité en retard par rapport aux « mega-caps ». Par ailleurs, dans le contexte commercial qui s’annonce, la recherche de sociétés cotées étrangères mais disposant déjà de capacités de production aux Etats-Unis présente certainement un grand intérêt. De même pour les sociétés leaders dans leurs secteurs et présentant des marges élevées seront en mesure de mieux traverser la période qui s’annonce.

 

La dynamique bénéficiaire reste positive et les attentes (12 prochains mois en USD) pour 2025 sont bonnes, les sociétés américaines font mieux que les actions globales

Source : Rothschild & Co/Bloomberg

 

Le reste du monde va donc s’ajuster. La Chine semble prendre conscience de la nécessité d’apporter une meilleure stabilité financière aux secteurs en difficulté, immobilier en tête. Par ailleurs, il est primordial d’améliorer rapidement la confiance des ménages pour que la dépense domestique reparte. Enfin, les secteurs « subventionnés » seront frappés par des tarifs importants, donc des négociations pourraient s’engager. La hausse spectaculaire des cours en septembre a pour le moment fait long feu. Les investisseurs étrangers restent toujours à distance.

Les actions suisses rentrent dans le rang depuis quelque temps. Il est donc légitime de questionner les perspectives de « l’exceptionnalisme helvétique » qui a longtemps permis aux portefeuilles largement exposés aux sociétés de notre pays de faire plus que jeu égal (boursièrement parlant) avec les meilleures sociétés mondiales. Si la surperformance de long terme par rapport au monde ex-US semble se maintenir, la dynamique par rapport à l’indice mondial (au sein duquel les Etats-Unis sont désormais dominants) s’est fortement érodée. La surperformance bâtie en 20 ans (1990-2010) a complètement disparu au cours des 15 dernières années. L’absence de sociétés technologiques dans l’indice explique grandement ce mouvement. Par ailleurs et plus récemment, l’évolution plutôt décevante des grandes sociétés de la pharma ou de l’alimentation (qui constituent le cœur de l’indice suisse) explique également cette mise en retrait. Nous ne jetons pas l’éponge à propos des valeurs suisses, mais considérons (cela a toujours été notre approche malgré les revers de 2022/23) qu’il est nécessaire de constituer son portefeuille en incorporant une bonne dose de valeurs secondaires de qualité.

 

Évolution de l’indice MSCI Suisse par rapport au monde ex-US (graphique du haut) et par rapport au monde (graphique du bas) durant la période 1970 -2024

Source : Julius Baer Research/Bloomberg

 

Notre conviction d’un élargissement de la participation à la dynamique boursière mondiale est confirmée. Dans l’immédiat, la position américaine doit rester importante, avec toutefois une réduction du poids des « mega-caps » pour faire de la place aux valeurs secondaires. La sélectivité reste de mise en Europe, alors que le Japon présente toujours une opportunité intéressante (meilleure gouvernance, rentabilité améliorée des leaders industriels et technologiques). Confiance maintenue à la Suisse avec priorité sur les leaders en dehors de Nestlé, Roche et Novartis. Les marchés émergents restent sous-représentés.

      

  1. Au sein des actifs de diversification, les métaux précieux conservent leur place de choix. L’or reste recherché, tant pour ses vertus de diversification, que par l’activité de nombreuses banques centrales en quête de « devise » de réserve non conventionnelle. La vedette lui a été certes un peu volée par le Bitcoin depuis l’élection américaine. Nous maintenons notre généreuse allocation.

De son côté, le pétrole reste balloté entre anxiétés géopolitiques, incertitude sur la demande et abondance annoncée par la nouvelle administration (le troisième 3 de Bessent). Un recul des prix constitue toujours une bonne nouvelle pour les économies développées.  

 

  1. Le franc suisse est en reprise depuis mi-mai. Les trois baisses de taux successives ne sont pas parvenues à affaiblir notablement ce mouvement. Rendez-vous le 12 décembre prochain (même jour que la BCE) pour une baisse supplémentaire des taux directeurs. La BNS considère que le combat contre l’inflation est gagné, elle se concentre désormais sur la conjoncture qui reste molle. La divergence observée depuis septembre entre les grandes devises se confirme suite à l’élection américaine : l’euro s’érode (baisse des taux de la BCE, dégradation des finances publiques des grands pays, crise politique), le yen se cherche et le dollar se raffermit de manière quasi unilatérale. Le billet vert avait probablement exagéré son mouvement de baisse durant l’été et reprend de l’altitude. Dans le court terme, rien ne semble arrêter sa progression. Ce d’autant plus que les écarts de taux vont vraisemblablement se creuser.

 

Évolution du dollar Index : sortie par le haut de la fourchette de fluctuation depuis 2022

Source : Julius Baer Research/Bloomberg

 

Polarisation extrême ?

Nous maintenons notre scenario de « soft landing », mais l’égocentrisme « trumpien » et les réactions aux barrières douanières (avérées ou latentes) auront leur influence sur la trajectoire conjoncturelle en 2025. Par ailleurs, les angoisses géopolitiques restent bien présentes. Toutefois, les grands agrégats monétaires et financiers demeurent stables pour l’heure. Nous observons avec une grande attention l’attitude des « bonds vigilantes » en cas de non-maitrise de « l’incontinence budgétaire » (aux Etats-Unis et en Europe) ou si l’inflation repart à la hausse. Les métriques de valorisation des actions américaines restent tendues (principalement dans la technologie), alors qu’elles sont un peu plus acceptables dans la configuration équipondérée de l’indice. Le recul des marchés dans le reste du monde se traduit par un élargissement de l’écart (déjà béant) avec les Etats-Unis. L’élargissement de la participation dans les actions commence à se manifester, les réductions d’impôts et la baisse des taux directeurs devraient favoriser les meilleurs acteurs dans les autres secteurs, ainsi que sélectivement dans les valeurs de tailles petites et moyennes. De leur côté, les marchés obligataires se sont ajustés à une lecture plus conforme des fondamentaux, ce qui se traduit par une espérance de performance proche des rendements (stratégie de portage). L’or devrait maintenir son statut d’assurance tous risques (inflation, déflation, risques géopolitiques, diversification des réserves de banques centrales), mais il pourrait être concurrencé par certains crypto-actifs. En effet, si les promesses de campagne de Trump et de ses amis peuvent se réaliser, à savoir la création d’un fonds stratégique en Bitcoin (« Strategic Bitcoin Reserve »), la demande structurelle pour ce type d’actifs pourrait se démultiplier.

 

Les fonds indiciels sur le Bitcoin rattrapent en taille les fonds sur l’or (et ceci en moins de 11 mois, alors que le fonds or existe depuis 2004 !)

Source : Banque Syz/Bitcoin magazine

 

Novembre a permis d’éclaircir un peu l’horizon (élection américaine, dynamique de la technologie et de l’IA), mais a également apporté son nouveau lot d’incertitudes (politique de la nouvelle administration, évolution des conflits). Les poches de liquidités auprès des investisseurs restent importantes et pourraient progressivement se positionner vers les actions, les obligations et l’immobilier coté (qui reste déprimé). En effet, l’hypothèse d’une récession (principalement aux Etats-Unis) est désormais écartée pour les prochains trimestres. La destination privilégiée des flux reste pour le moment les Etats-Unis en raison des meilleures perspectives de croissance, de la dynamique fiscale et de la domination technologique. La courbe des taux US demeure attrayante, notamment dans la dimension crédit et le dollar est soutenu par le différentiel de taux. La prépondérance dans actifs américains constitue toutefois un risque de concentration que nous ne souhaitons pas augmenter. La recherche d’actifs de diversification attrayants dans les autres zones géographiques reste à l’ordre du jour : l’Europe doit se montrer plus convaincante (elle héberge de belles sociétés souvent décotées) et l’Asie demeure une zone de croissance, pour autant que la Chine ne vienne pas troubler l’équilibre politique.

En cette période automnale, nous avons pour habitude de revisiter nos espérances de performance (à moyen terme) pour les principales classes d’actifs prises en compte dans notre univers. Après analyse approfondie, nous avons légèrement modifié nos attentes pour les actions à la baisse (vu le niveau atteint) et pour les obligations européennes (pour prendre en compte la baisse des taux opérées en 2024). En consolidé, nos attentes pour nos portefeuille équilibrés multi-assets se situent à environ 4% en francs suisses, soit la tendance moyenne des 7 dernières années. Le débat concernant l’importance de la diversification resurgit régulièrement, notamment au cours d’exercice comme 2022 (tout baisse) ou 2024 (domination des actions américaines). Nous considérons que nous ne faisons pas de la prévision, mais bien de la gestion du risque afin d’assurer une progression « raisonnable » à moyen terme des capitaux sous notre supervision. Dans ce contexte, la bonne répartition des risques reste cardinale.

 

Pourquoi ne pas tout investir en actions américaines ?

Source : John Authers/Bloomberg

 

Nos portefeuilles diversifiés « classiques » restent constitués d’actions (légèrement au-dessus de 40 %), d’obligations avec un biais crédit marqué (environ 30%) et des actifs de diversification (environ 30% répartis en convertibles, immobilier – suisse et étranger -, infrastructure et toujours un poids important en métaux précieux). L’année devrait se terminer sur les niveaux actuels, ce qui constitue la seconde année consécutive de récupération significative après les moins-values de 2022. La grande majorité des classes d’actifs considérée a participé à la hausse. Le modèle de diversification disciplinée et de stabilité dans le temps en privilégiant les actifs de qualité s’avère réellement payant. L’année 2025 s’annonce pleine de défis (à nouveau). L’espérance de rendement se situe proche de la moyenne de long terme.

 

Tannay, le 29 novembre 2024

Serge Ledermann

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