Après l’euphorie électorale, le retour à la réalité du terrain
Chronique des marchés – janvier 2025
Décembre 2024 : les marchés de taux mettent les « warnings »
Les bourses mondiales finissent l’année en recul, dans ce qui restera une excellente année (faisant suite à l’excellent 2023) surtout aux Etats-Unis. Les cours des obligations ont également subi l’effet négatif de la remontée des taux américains en décembre (dans le prolongement de rebond de novembre), laissant la performance des obligations globalement en retrait des attentes sur l’année. C’est le crédit à nouveau qui a enregistré les meilleurs scores, ainsi que la Suisse qui profite de son statut de devise forte. Le dollar reste fort en décembre. Le Bitcoin confirme son envolée des derniers mois (symbole de la nouvelle administration américaine, la « paypal mafia » tire magistralement les marrons du feu et jubile), tout en consolidant quelque peu en décembre… Tout comme l’or, qui continue à offrir un grand degré de diversification et de performance.
La concentration reste très présente, un peu dans tous les indices boursiers. Tout ce qui tourne autour de la technologie (en lien avec l’IA) caracole, mais également les fournisseurs d’électricité (services publics) et les financières, alors que la santé, l’énergie et les matériaux sont à la traine. Les grandes capitalisations continuent à écraser les valeurs secondaires. Les fonds indiciels (ETFs actifs et passifs) règnent en maitre et grignotent le lunch des gestions actives. Celles-ci enregistrent à nouveau des retraits massifs.
Les marchés obligataires corrigent encore en décembre, les « Trumponomics » induisent des attentes inflationnistes plus élevées et un creusement des déficits. L’euphorie « pro-croissance » fait place au scepticisme des « bond vigilantes ». La Suisse s’en sort mieux que le reste du monde.
Sorties massives dans les fonds en gestion active aux Etats-Unis en 2024 (en milliards de dollars)
Source : Financial Times/EPFR
Les indices de la prévoyance suisse reculent modestement en décembre (-0.4% pour l’indice LPP 25+, -0,5% pour l’indice LPP 40+) pour s’inscrire en hausse de respectivement + 7,8% (pour LPP 25+) et +10,7% (pour LPP40+) sur l’année, ce qui constituent des performances remarquables.
Évolution des principaux indices boursiers et économiques depuis le début de l’année (au 31.12.2024, en devises locales)
Source : XO Investments
Vice President Musk
Rien ne sera simple sur le plan économique en 2025. Si les dernières prévisions du Fonds Monétaire International tablent toujours sur une croissance de l’ordre de 3% pour le monde l’an prochain, le contraste est grand entre les grandes régions : l’Europe et le Japon (qui rament) et la Chine qui continue à mollir d’une part et les Etats-Unis qui restent sur une très bonne dynamique. L’élection de D. Trump rebat les cartes, dans la mesure où son programme pourrait accentuer la fragmentation du monde au travers d’une politique tarifaire brutale. Par ailleurs, la combinaison de plus de protectionnisme et moins d’impôts associée à l’objectif de réduction de l’inflation ressemble plus à un vœu pieu qu’une politique économique crédible. Le côté imprévisible et négociateur de Trump oblige déjà les acteurs politiques et économiques à envisager tous les scenarii. Les banques centrales également évaluent leur positionnement. Le retour à la désinflation est certainement remis en cause aux Etats-Unis (« hawkish cut » en décembre), mais l’Europe et la Chine poursuivront leurs baisses de taux. La nouvelle administration n’est pas encore en place, mais elle suscite déjà de nombreux débats. Comme à son habitude, Trump fanfaronne (fort de son net succès électoral) et débite ignominies et menaces à tout va (comme lors de ses « vœux » de Noel). La composition de sa nouvelle équipe confine à la provocation. Elle se base plus sur la récompense (pour des soutiens financiers massifs) et l’exigence de loyauté aveugle, que sur la démonstration des compétences requises pour le poste. Elon Musk (qui a un avis sur tout – et ne manque de l’exprimer tous azimuts – et surtout un avis) occupe une position centrale sans avoir un poste « officiel ». Son rôle semble aller bien au-delà de la réorganisation des départements et agences d’État. Mais où est donc passé JD Vance ? Les différentes factions du parti républicain commencent déjà à s’écharper au risque de créer du tumulte, comme les négociations sur le plafond de la dette ou encore les visas étrangers l’ont démontré en fin d’année. On nous promettait le chaos, on en a déjà un avant-goût.
Comme toujours, l’évolution des paramètres fondamentaux déterminera la trajectoire des prix des principaux actifs financiers. Depuis quelque temps, il convient de relever que les éléments géopolitiques jouent également un rôle non négligeable, notamment dans l’évolution des devises (le rôle du dollar étant mis au défi par le sud global). Pour l’heure, l’ensemble des experts (économistes, analystes, stratégistes) se confondent en conjectures pour tenter de cerner les contours du programme 2025-2028. Si le profil « pro-croissance » est affirmé, il convient de relever l’incohérence entre stimulation fiscale excessive et objectif de réduction sensible de l’inflation et/ou contrôle du déficit budgétaire. La nomination de Scott Bessent et l’expression d’un concept 3/3/3 (à savoir 3% de déficit budgétaire, 3% croissance, 3 millions de barils produits de plus par jour) vise à promouvoir la croissance sans causer de dérapage budgétaire. On verra… L’introduction de tarifs douaniers importants pourrait également s’avérer très négative pour l’économie américaine en pénalisant les circuits d’approvisionnement de nombreuses sociétés domestiques.
La publication des dernières données sur l’inflation confirme que les progrès s’avèrent plus difficiles à partir des niveaux atteints en été. Toutes les mesures demeurent au-dessus de l’objectif de la Fed et, pire, la dynamique à court terme s’inverse. Le coût des services (avec ou sans l’indice du logement) reste accroché au-dessus de 4% en glissement annuel.
L’inflation aux Etats-Unis ne recule plus, quelle que soit la mesure choisie. Le momentum à court terme est même franchement inquiétant.
Source : Gavekal Research/Macrobond
Cette dégradation, couplée à l’absence de visibilité concernant les mesures que va prendre la nouvelle administration a incité J. Powell à tenir un discours circonspect le 19 décembre lors de la conférence qui faisait suite à la décision de son comité. Par voie de conséquence, les taux longs sont fortement remontés (entrainant le dollar dans son sillage) et la cote américaine a flanché. Les attentes de baisse de taux directeurs pour 2025 sont sérieusement remises en cause (plus qu’une ou deux baisses contre quatre auparavant), certains experts parlent même de hausse pour l’an prochain. Un chose nous semble certaine : quel que soit le « policy-mix » envisagé, le risque de récession a disparu pour 2025.
Première fois dans l’histoire qu’une divergence pareille se réalise : Les taux longs (ligne bleue) regagnent 100 points de base de rendement au moment où les taux directeurs sont abaissés de 100 points de base !
Source : Banque Syz/www.zerohedge.com
Confusion aussi au Japon (qui avait choisi une politique différente du reste du monde), car l’inflation reste accrochée au-dessus de l’objectif (2%) de la banque centrale et les salaires s’ajustent à la hausse… Le génie semble hors de la bouteille. Malgré les tensions inflationnistes, la Bank of Japan décide de maintenir son taux à 0,25% en raison d’incertitudes économiques et politiques importantes. Le gouvernement minoritaire tente de trouver des compromis budgétaires tout en cherchant à relancer la croissance.
Dans la zone euro, la désinflation se confirme avec un nouveau recul des prix en novembre (-0,3%) ce qui porte le renchérissement à +2,2% sur 12 mois. La Banque centrale européenne avait bien anticipé cette tendance, puisqu’elle avait poursuivi son mouvement de baisse (un « modeste » -0,25%, annoncé lors de sa conférence du 12 décembre) en établissant son taux directeur à 3%. Mme Lagarde communique également que les prévisions de croissance pour la zone sont revues à la baisse, tout comme pour l’inflation pour 2025 (à 2,1%). Le même jour, la Banque Nationale suisse surprend en abaissant son taux directeur de 0,5% à 0,5%. Son nouveau directeur cite les grandes incertitudes sur le plan international, les perspectives favorables pour l’inflation (+0,3% en moyenne en 2025) et la force du franc. Le directoire envisage d’autres coupes et/ou des interventions sur les marchés des changes si nécessaire. Le retour à des taux négatifs n’est plus un tabou…
Assouplissement également en Chine où la déflation s’est installée. Les différents plans de relance sont pour l’heure assez peu efficaces. La dépréciation de la monnaie est significative, tout comme la baisse des taux longs qui ont passé en-dessous de 1% en décembre. La banque centrale tente de contrôler la valeur du Renminbi et envisage de nouvelles mesures de relance. Les décisions seront prises à l’aune des mesure tarifaires décidées par l’administration Trump.
La Chine est-elle en phase de « japanification » (déflation chronique et croissance très faible qui a caractérisé le Japon après l’éclatement de la bulle en 1990) ? les taux d’intérêt à 30 ans (qui expriment bien les attentes de long terme) sont désormais plus bas en Chine (ligne bleue) qu’au Japon (ligne rouge).
Source : FT unhedged/Bloomberg
« L’exceptionnalisme américain » est bien présent, tant dans l’économie mondiale que dans les marchés financiers. Ce phénomène date de la Grande Crise Financière de 2008, et n’a fait que se renforcer depuis. Les Etats-Unis représentent 4% de la population mondiale, 25% du PIB mondial, 33% des profits des entreprises cotés et environ 70% de l’indice mondial MSCI. Comment cela s’explique-t-il ? Tout simplement, nous observons que le pays dispose de ressources énergétiques abondantes et bon marché, de géants technologiques quasi sans pareils au monde, procure le plus grand marché intérieur de consommation et peut s’appuyer sur la devise de réserve mondiale (permettant jusque-là de financer ses « déficits jumeaux »). Donald Trump va tout faire pour renforcer cette position en imposant des contraintes au reste du monde (afin d’aspirer de la croissance externe vers son pays, notamment en incitant les entreprises non-domestiques à créer des capacités de production aux Etats-Unis afin d’éviter les tarifs). Simple tactique de négociation ou bras de fer brutal ?
Le creusement de l’écart de performance avec l’Europe s’opère dès 2010. L’indice chinois est hors-jeu tout au long de la période (1993-2024). L’Europe est à peine au-dessus du niveau de la fin des années 90 !
Source : Banque Syz/Bloomberg
Dans le même temps, l’Europe se montre toujours aussi désunie et hésitante. Les craintes géopolitiques s’ajoutent aux anxiétés commerciales. Le monde se transforme en zones d’influence dans lesquelles l’Europe parait affaiblie. L’Union européenne évoque (sans objectifs concrets) certaines pistes comme l’union des marchés des capitaux, une collaboration plus organisée en matière d’industrie de défense, l’accélération des investissements de décarbonation notamment. Le rapport Draghi (sur la compétitivité et l’investissement) recueille plus d’intérêt. La région espère pouvoir créer un nouveau cadre de « relations transactionnelles » avec la nouvelle administration américaine.
La France s’est dotée d’un nouveau gouvernement dont l’espérance de vie ne semble pas devoir excéder la durée de l’ancien. L’Allemagne va passer aux urnes le 23 février prochain, le frein à l’endettement et la gestion de l’immigration seront les thèmes principaux de campagne. Il y a de bons espoirs que le modèle de rigueur soit remplacé par une approche plus dynamique pour relancer la machine. La voie est ouverte pour plus de baisses de taux en 2025.
Enfin en Chine, première nation visée par Trump, on se prépare également à la guerre tarifaire, soit en répondant déjà par l’instauration de tarifs sur certains produits clé et/ou des restrictions à l’exportation de produits essentiels pour l’industrie américaine (composants chimiques, métaux stratégiques). En tout état de cause, le monde se prépare à la confrontation. Si l’Amérique dispose de beaucoup d’arguments, pas sûr qu’elle s’en sorte sans dommage.
A ce stade, tant les indices de confiance que les indicateurs de l’activité économique continuent à diverger entre les Etats-Unis (en amélioration) et l’Europe et la Chine (en tassement). Cela se traduit par des divergences en termes de politiques monétaires et de tendances sur les devises.
Les tensions géopolitiques poursuivent leur escalade, la Russie poursuivant sans relâche (et à force de pertes humaines considérables) son rêve impérialiste. Les promesses de solution de Trump seront vite mises à l’épreuve, mais une sortie de crise n’est pas exclue en 2025. Israël est désormais actif sur quatre fronts au Proche-Orient. S’il est peut-être en train de gagner la guerre, pas sûr que la paix soit assurée. La position de la nouvelle administration américaine dans ces deux conflits sera déterminante pour les prochaines années. Les blocs idéologiques se cristallisent. Le goût pour la négociation et l’opportunisme de Trump seront testés très prochainement.
Malgré tous ces obstacles, l’économie mondiale est restée résiliente en 2024 et s’engage avec une bonne vélocité en 2025. L’avion est donc toujours en vol, mais « boucle d’or » se fait quelques soucis.
La ploutocratie « trumpienne » face au marxisme de Xi
La fracturation du monde que nous observons depuis bientôt trois ans se traduit par l’émergence de modèles de sociétés et de doctrines économiques très divergents. Certaines confient à l’expérimentation. Ce sera sans contexte une source majeure d’incertitude et de surprises l’an prochain. Les marchés vont certainement en tenir compte et s’ajuster au niveau des primes de risque.
Nous continuons à observer le monde au travers de notre prisme 5 D (Démondialisation, Digitalisation, Démographie, Décarbonation et Dettes). Il convient toutefois d’ajuster ses attentes en permanence. La fracturation politique et économique est une réalité (certains la qualifient de « globalisation light » afin de rester positif), le buzz word de la digitalisation est « Intelligence Artificielle », les efforts de décarbonation demeurent (tout en restant insuffisants) et enfin la gestion de la dette revient clairement au premier plan. Ce dernier élément va véritablement influencer les marchés en 2025, et probablement négativement. Nous rappelons ici que notre métier n’est pas de faire des prévisions, mais de gérer les risques au sein des portefeuilles que nous organisons et/ou supervisons en captant au mieux ce que les classes d’actifs peuvent générer. Ces dernières années, la pondération des Etats-Unis (tant dans les obligations que les actions) n’a fait que gonfler, réduisant certaines zones au rôle de faire-valoir. La doctrine MAGA ne fera qu’augmenter (tout au moins dans un premier temps) l’importance des Etats-Unis dans les capitalisations. Dans ce contexte, il nous apparait qu’une exposition prépondérante dans les marchés développés reste adéquate. L’allocation dans les métaux précieux et dans certaines matières premières comme diversification reste également de mise. La diversification en dehors du franc suisse n’excède pas 30% du portefeuille, elle se concentre essentiellement sur le dollar.
- Le sommet des taux directeurs est dépassé. Les perspectives de baisse à venir sont clairement exprimées, mais le rythme demeure incertain, principalement aux Etats-Unis.
En 2024: Fed -1%, BCE -1%, Bk of Canada -1,75%, Bk of England -0,5%, BNS – 1,25%
Source : Banque Syz/Global Market Investor
- L’évolution récente (à la hausse) des taux américains exprime le retour des préoccupations des investisseurs face au creusement des déficits, d’une conjoncture toujours robuste (probablement renforcée par le programme pro-croissance de la nouvelle administration) et d’une inflation qui refuse de baisser plus. L’image est sensiblement différente en Europe, en Chine ou encore au Japon, où l’introduction (probablement dès le 20 janvier) de mesures protectionnistes américaines pourrait avoir un effet déprimant. Les courbes se « repentifient » fortement, avec des taux longs qui repartent à la hausse au moment où les taux directeurs reculent lentement.
Le segment du crédit (principalement le segment High Yield) a été très recherché tout au long de l’année, à tel point que les spreads se sont compressés à des niveaux très bas. Si les investisseurs se montrent convaincus qu’aucune récession n’arrivera ces prochains temps, il nous parait trop tard pour ajouter de l’exposition dans ce segment (des prises de profit partielles sont même recommandées). A l’inverse, la remontée des taux souverains US présente à nouveau un intérêt pour les investisseurs de long terme, tout en évitant pour l’heure les échéances longues. L’exposition à la dette émergente (en devises fortes) reste marginale.
Les rendements (à l’échéance en %) sont à nouveau à la hausse depuis octobre dernier aux Etats-Unis, mais l’Europe ne suit pas : la divergence s’installe, ce qui tend à enforcer le dollar par ailleurs.
Source : BCV/Datastream
Nous maintenons notre approche diversifiée par segment en se concentrant majoritairement sur le dollar, l’euro (les deux partiellement hedgés) et le franc suisse. Nous continuons à privilégier le crédit (portage toujours attrayant, rémunérateur et protecteur en cas de hausse des taux de base) avec une duration toujours modérée.
En Suisse, le rendement à l’échéance des emprunts longs de la Confédération est proche du plancher, ce qui ne laisse que peu de place à l’appréciation du capital. Le marché suisse a été la grande vedette 2024 des marchés obligataires développés avec une performance de plus de 5% pour l’indice SBI.
Les rendements (à l’échéance en %) des indices obligataires suisses et du Saron (taux à court terme), on s’approche du plancher
Source : BCV/Datastream
- L’année boursière 2024 est à nouveau très bonne (après le fort rebond de 2023), même si la dynamique s’est quelque peu atténuée en décembre. L’année a véritablement été marquée par le « Trump trade », avec l’affirmation du leadership américain, la domination des sept magnifiques, la force du dollar et la hausse massive du Bitcoin notamment. La publication dès janvier des résultats du 4ème trimestre et surtout les messages sur les perspectives 2025 sont attendus avec grand intérêt car les attentes bénéficiaires sont encore assez généreuses.
L’expansion des multiples s’est poursuivie en 2024 (la hausse des cours est plus importante que la progression des bénéfices), les investisseurs étant toujours disposés à payer une prime importante pour la détention d’actifs américains. Sur les près de 24% de hausse de l’indice S&P500, près de 10% s’explique par l’expansion des multiples et 13% par la progression des bénéfices, la contribution des dividendes étant marginale. Les allocateurs sont donc confrontés à des enjeux délicats pour organiser optimalement leurs portefeuilles en 2025, c’est-à-dire optimiser les paramètres de valorisation avec la dynamique bénéficiaire, tout en respectant une certaine diversification. Difficile de s’éloigner dans de trop grandes proportions du poids des actions américaines (près de 70% des indices boursiers globaux, avec des valeurs dominantes pour plus d’un tiers), même si les valorisations sont pour le moins tendues (spécialement pour les méga-caps de la tech). La principale question réside dans les promesses de l’IA : est-ce que les investissements massifs (équipements et logiciels) opérés jusqu’ici vont se traduire par des effets notables sur la dynamique (gains de productivités, gains de parts de marché) bénéficiaire des entreprises (tous secteurs confondus). Nous n’en savons rien, mais il nous parait évident que toute déception (même passagère) sur ce point sera brutalement sanctionnée. Il semble dès lors raisonnable de réduire l’exposition à ce segment pour s’intéresser aux autres valeurs de qualité dans d’autres segments du marché (secteurs et taille). Toutefois, la version équipondérée de l’indice S&P500 ou encore les valeurs secondaires doivent encore confirmer leur retour.
Depuis 2015, les valeurs secondaires (mesurées par l’indice Russell 2000) sont à la peine par rapport à l’indice phare S&P 500 des plus grandes capitalisations. Seules deux années de performance relative (en %) positive ! Les barres expriment la performance annuelle relative du Russel 2000 par rapport au S&P500
Source : Banque Syz/Koyfin
On parle beaucoup de l’exceptionnalisme américain et des fameuses Mag7, mais il est notable de relever que des valeurs allemandes (pays où l’activité économique s’est fortement tassée ces derniers trimestres) expriment des caractéristiques similaires. Elles ont permis à l’indice local Dax 40 de progresser de près de 20% (soit 2x mieux que la moyenne européenne) cette année, alors qu’une partie importante du marché (le secteur automobile notamment) est en grande difficulté. La cote germanique recèle quelques pépites dans différents secteurs : SAP dans la technologie, Rheinmetall dans la défense, Siemens (y compris Siemens Energy) dans l’industrie ou encore Allianz et Munich Re dans l’assurance. Autant d’entreprises qui ne génèrent pas plus de 25% de leurs bénéfices en Allemagne.
Les « Mag 7 » à l’Allemande (divergence entre l’indice DAX équipondéré, ligne rouge, et l’indice DAX pondéré par les capitalisations depuis 2014). La pandémie a changé la donne.
Source : FT/LSEG
L’Europe, comme le reste du monde, non-américain va subir l’effet de droits de douane, ce qui ne manquera pas d’avoir un impact plus ou moins important sur l’évolution des revenus et des bénéfices. Chaque situation devra être analysée spécifiquement. Il nous semble que l’évolution récente des cours en dehors des États-Unis prend déjà en compte une partie de ces éléments (impossibles à quantifier à ce stade), alors que les valeurs américaines sont « priced for perfection ». L’élargissement de la cote (qui reste à confirmer) permet de s’exposer à des sociétés de qualité en retard par rapport aux « méga-caps ». Par ailleurs, dans le contexte commercial qui s’annonce, la recherche de sociétés cotées étrangères mais disposant déjà de capacités de production aux Etats-Unis présente certainement un grand intérêt.
Le reste du monde va donc s’ajuster. La Chine semble prendre conscience de la nécessité d’apporter une meilleure stabilité financière aux secteurs en difficulté, immobilier en tête. Par ailleurs, il est primordial d’améliorer rapidement la confiance des ménages pour que la dépense domestique reparte. Les actions suisses rentrent dans le rang depuis quelque temps, en raison de leur profil défensif et un peu « old school ». Comme indiqué précédemment, nous ne jetons pas l’éponge à propos des valeurs suisses, mais considérons (cela a toujours été notre approche malgré les revers de 2022/23) qu’il est nécessaire de constituer son portefeuille en incorporant une bonne dose de valeurs secondaires de qualité.
Le Japon présente toujours une opportunité intéressante (meilleure gouvernance, rentabilité améliorée des leaders industriels et technologiques) et démontre encore (comme en décembre) sa capacité de diversification dans un portefeuille global. Les marchés émergents restent sous-représentés.
- Au sein des actifs de diversification, les métaux précieux conservent leur place de choix. L’or reste recherché, tant pour ses vertus (retrouvées) de diversification, que par l’activité de nombreuses banques centrales en quête de « devise » de réserve non conventionnelle. La vedette lui a été certes un peu volée par le Bitcoin depuis l’élection américaine. Nous maintenons notre généreuse allocation.
De son côté, l’évolution des prix du pétrole reste particulièrement délicate à évaluer, tant les facteurs d’influence sont nombreux et imprévisibles. En 2024, malgré les grandes tensions géopolitiques dans des zones importantes pour l’or noir, les prix se sont inscrits dans une tendance plutôt baissière. L’arrivée de Trump à la Maison blanche et son projet de forage sans retenue est de nature à maintenir cette tendance.
Évolution des différentes catégories de détenteurs d’or dans le monde depuis 2007. Les banques centrales jouent un rôle prépondérant depuis 2020. La ligne bleue représente le cours en dollar.
- Le franc suisse est en reprise depuis mi-mai. Les quatre baisses de taux successives ne sont pas parvenues à affaiblir notablement ce mouvement. Le 12 décembre dernier, la baisse de 50 points de base s’apparente à la version BNS du « whatever it takes ». La BNS considère que le combat contre l’inflation est gagné, elle se concentre donc sur la conjoncture qui reste molle. L’euro s’érode et le yen se cherche. Le dollar reste fort grâce à son différentiel de taux très favorable. L’évolution de l’inflation (et surtout des attentes en la matière) ces prochains mois pourrait affaiblir le dollar, mais nous n’y sommes pas encore.
Le franc poursuit son raffermissement par rapport à l’euro (malgré les baisses massives de taux) pour atteindre son niveau record (depuis l’introduction en 1999, base 100)
Source : John Authers/Bloomberg
Quel re-balancement pour 2025 ?
Comme déjà dit, la vitesse conjoncturelle d’entrée dans 2025 est bonne, mais en ralentissement. Nous maintenons notre scenario de croissance molle. Toutefois, l’arrivée de la nouvelle administration introduit un grand niveau d’incertitude quant à l’évolution des agrégats fondamentaux (inflation, taux, pétrole, dollar). Par ailleurs, les angoisses géopolitiques restent bien présentes. Nous nous questionnons sur le type de rebalancement que les grands investisseurs font ou vont faire au cours des prochaines semaines. Il est de coutume de réduire l’exposition aux « gagnants » et réallouer aux « perdants », gage de bonne gestion du risque à moyen terme (selon la théorie du retour à la moyenne). Nous devrions par voie de conséquence voir des sorties du marché américain des actions en faveur des obligations domestiques et/ou des marchés des actions internationales et/ou des obligations internationales. Rien de vraiment patent à ce stade. A notre niveau, nous n’envisageons pas d’entrer dans 2025 avec une surexposition aux actions (USA en tête). Toutes les enquêtes faites ces dernières semaines auprès des investisseurs expriment une sur-représentation aux actions américaines. Quels pourraient donc être les acheteurs résiduels ?
Les « bond vigilantes » confirment leur retour au premier plan. Ils rappelleront en permanence à l’administration américaine que la non-maitrise des paramètres budgétaires sera sanctionnée. Les métriques de valorisation des actions américaines (un rapport cours bénéfice supérieur à 23x pour 2025 !) restent tendues (principalement dans la technologie), alors qu’elles sont un peu plus raisonnables dans la configuration équipondérée de l’indice, et plus encore dans le reste du monde. L’élargissement de la participation dans les actions commence timidement à se manifester (même si décembre n’a pas été particulièrement favorable aux valeurs secondaires). De leur côté, les marchés obligataires se sont ajustés à une lecture plus conforme des fondamentaux, ce qui se traduit par une espérance de performance proche des rendements (stratégie de portage). L’or devrait maintenir son statut d’assurance tous risques, mais il pourrait être plus concurrencé par les crypto-actifs.
Nos portefeuilles diversifiés « classiques » restent constitués d’actions (légèrement au-dessus de 40 %), d’obligations avec un biais crédit marqué (environ 30%) et des actifs de diversification (environ 30% répartis en convertibles, immobilier – suisse et étranger -, infrastructure et toujours un poids important en métaux précieux). Cette configuration, associée à une gestion dynamique mais disciplinée, a permis d’excéder les objectifs de performance des portefeuilles considérés. L’année qui s’ouvre devrait permettre de générer à nouveau des plus-values, mais les attentes doivent rester modestes car la base de départ est élevée.
A l’aube de la nouvelle année, je vous souhaite à tous le plein de sérénité et de succès. A mes fidèles lecteurs, je vous remercie pour votre confiance et vos commentaires avisés tout au long des années. Il s’agit ici de ma dernière chronique. Je poursuis toutefois mes activités d’administrateur indépendant et de conseiller en investissement, tout en laissant ma place à des plumes plus jeunes et probablement plus alertes.
Tannay, le 3 janvier 2025
Serge Ledermann