Eviter le «Triangle des Bermudes» des produits de gestion

par 21.08.2017Finance, Le Temps

Entre gestion dite «rule-based», «smart beta», gestion discrétionnaire et véhicules exotiques, une classification s’impose parmi les nombreux produits financiers disponibles pour l’investisseur.

Publié dans la chronique « Un oeil sur la place » dans « Le Temps » du 20 août 2017

En tant qu’acteur du monde de la gestion d’actifs depuis bientôt quarante ans, j’ai pu observer la spectaculaire évolution des approches et des produits de gestion. Différentes forces se sont conjuguées à la recherche des meilleures formules permettant de créer de la valeur ajoutée pour les clients. Tout d’abord, la recherche académique et la recherche appliquée ont constamment étudié les facteurs explicatifs des mouvements de cours des actifs financiers. En parallèle, les processus de gestion ont gagné en complexité de manière à intégrer de plus en plus d’informations. Enfin, l’engagement croissant de la technologie, tant en capacité qu’en vitesse pour traiter et intégrer des données dans les processus de gestion, a modifié en profondeur le métier des gérants et le «design» des produits.

Entre gestion dite «rule-based», «smart beta» et gestion discrétionnaire, une classification s’impose afin de mieux comprendre les caractéristiques spécifiques de chaque véhicule. Et surtout éviter de se trouver dans le «Triangle des Bermudes» des produits de gestion!

Lorsque BlackRock n’existait pas

Le début des années 1980 marque le démarrage du très long cycle haussier dans lequel nous sommes encore. A cette époque, les processus de gestion étaient essentiellement discrétionnaires. Vanguard – présentement le plus grand gérant de produits indiciels – venait de voir le jour et BlackRock n’existait pas. Par la suite, de nouvelles approches ont et progressivement le jour: de la réplication simple d’indices à des processus plus quantitatifs basés sur des modèles ou indicateurs divers. Parallèlement, les objectifs de gestion ont fondamentalement été revus en intégrant toute sorte de dimension comme performance relative, absolue, pondérée par le risque, à volatilité réduite, etc.

Aujourd’hui, le monde de la gestion d’actifs est complètement transformé. La concurrence est véritablement internationale, les produits de gestion sont devenus infiniment plus transparents (composition, performance) sous l’influence de la pression réglementaire et la sensibilité aux coûts n’a jamais été aussi élevée. Il s’agit d’une industrie de croissance, même si la progression s’est ralentie plus récemment.

Les bases de données et les outils d’analyse des univers de fonds sont désormais largement disponibles et permettent de segmenter, classer et finalement sélectionner les produits en fonction de leurs caractéristiques avérées. Dans ce contexte, je classe les produits de gestion en 4 catégories distinctes (une approche passive et 3 approches actives), chacune avec des caractéristiques spécifiques et des développements différenciés.

Quatre catégories de modes de gestion

Tout d’abord la gestion dite «rule-based», soit répondant à des règles strictes permettant une automatisation du processus (ici l’intervention humaine se résume à programmer la règle et les routines associées), a pris une importance considérable au cours des quinze dernières années. Les encours des «Exchange-Traded Products and Funds» indiciels ont grandi à un rythme supérieur à 20% l’an depuis 2008, dépassant tout autre type de produit! Ce mode de gestion (réplication par les capitalisations, mais également selon d’autres critères) permet d’accéder à une exposition au marché sous-jacent de manière rapide, simple et peu coûteuse.

La seconde approche qui a également connu un développement important (mais moins spectaculaire que la première) se base sur des processus quantitatifs et/ou systématiques. Dans ce segment, le gérant développe des indicateurs/signaux basés sur des modèles fondamentaux, macroéconomiques, d’analyse technique ou de profils de comportement par exemple, de manière à performer mieux que les indices de référence.

L’usage de logiciels sophistiqués a gagné en importance et préside désormais à de nombreuses décisions de gestion, en réalisant souvent aussi des économies de coûts. Cette évolution a ouvert le débat concernant le rôle relatif de l’homme par rapport à la machine. Dans ce domaine, l’intervention humaine consiste à organiser un processus pointu de recherche et programmer proprement les algorithmes. Les primes de risque alternatives – produits à la mode en ce moment – appartiennent à cette catégorie à mes yeux.

De leur côté, les nouvelles approches appelées «smart beta» (littéralement une exposition au marché un peu plus «smart» que la réplication par les capitalisations boursières) se rangent soit dans la gestion «rule-based» (quand la règle de sélection est fixe), soit dans la gestion quantitative (quand la règle varie dans le temps en fonction d’indicateurs spécifiques). Aujourd’hui, la part des encours du marché américain des actions gérés de manière indicielle ou quantitative est estimée à 60%!

Fondamentaux en recul

La troisième catégorie comprend la gestion discrétionnaire basée sur des processus pilotés par des individus (qui font appel à l’analyse des fondamentaux et leur expérience de gestion). Cette approche a beaucoup perdu de terrain depuis le début des années 2000. De dominante, sa part de marché a été considérablement érodée par la montée en puissance des deux premières catégories de produits financiers. On trouve ici toutefois des approches très originales et performantes, généralement plus chères en matière de frais. Cette gestion véritablement active, basée sur un processus solide, doit être regardée dans une perspective de moyen terme (3 à 5 ans).

La quatrième catégorie est constituée d’une multitude de produits dont les processus de gestion sont confus ou mal définis. Ils produisent généralement des portefeuilles peu actifs et/ou peu performants. L’amélioration de la transparence en matière de performance et de coûts de gestion a mis en lumière nombre de ces produits qui sont appelés à une attrition assez rapide. Je considère cette catégorie comme le «Triangle des Bermudes» des produits de gestion.

L’organisation du portefeuille

Quels que soient les produits de gestion sélectionnés, le processus d’organisation d’un portefeuille diversifié suit toujours le même principe. Il démarre par la bonne définition du besoin de rendement (ajusté aux coûts de gestion) et de la fourchette de risque. Ensuite, la construction de portefeuille fait le lien entre l’organisation globale des actifs, les préférences du client et le choix des véhicules d’investissement.

La bonne compréhension des moteurs de performance et des facteurs de risque sont essentiels à l’atteinte des objectifs précités. Finalement, on veillera à trouver le juste équilibre entre polarisation excessive (en ne se concentrant pas sur un seul type de gestion), synchronisation entre performance attendue et coûts, et enfin flexibilité de gestion.

Serge Ledermann
Publié dans la chronique « Un oeil sur la place » dans « Le Temps » du 20 août 2017

Chronique "Un oeil sur la place" du Temps
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