La Chine, l’un des grands gagnants de 2020

par 11.01.2021Finance, Le Temps

Chronique par Serge Ledermann paru dans Le Temps le 11 janvier 2021

 

OPINION. Au moment où la société américaine se déchire et que l’Europe continue à chercher sa voie, Pékin marque des points. Sa gestion de la pandémie et sa relance économique sont considérées comme exemplaires. Le renminbi gagne en importance et la Chine a signé d’importants accords commerciaux.

 

« La nature a horreur du vide » (Aristote)

L’année 2020 a été éprouvante pour la santé physique et morale de nombreux concitoyens, sans parler des investisseurs qui en ont vu de toutes les couleurs. Au final toutefois, le résultat financier est loin d’être déprimant. Il n’en reste pas moins que le choc sanitaire est dur à encaisser et la gestion de la sortie s’avère périlleuse. Comme dans toute crise, chacun s’évertue à tirer des enseignements, voir chercher des gagnants et des perdants. Force est de constater que la Chine a été omniprésente dans tous les commentaires ces derniers trimestres. Loin de moi l’idée de me considérer comme un expert en la matière, mais je souhaite tout de même partager quelques réflexions (principalement d’ordres économique et financier) sur le rôle de l’empire du Milieu.

Début 2020, les commentaires à propos de la Chine tournaient essentiellement autour de la guerre commerciale et des tarifs punitifs levés par l’administration américaine. Mais rapidement, l’émergence du virus et les strictes mesures de confinement de Wuhan ont fait planer l’ombre d’un choc économique majeur pour le pays. Fin 2020, la Chine figure en bonne place dans la liste des gagnants ! Pour certains, tant la gestion de la pandémie que la relance économique sont considérés comme exemplaires. Si dans les crises économiques précédentes (2003, 2008/9, 2015), la recette unique fut la relance fiscale (dépenses d’infrastructure, offre de crédits tous azimuts), pas cette fois !

Le monde entier a choisi le modèle keynesien pour juguler la crise (compensation des pertes de revenus et de salaires par l’augmentation massive des déficits budgétaires, demande aux banques d’allouer des prêts de fonctionnement à tous) et l’utilisation du mode autoritaire (dépouiller temporairement les parlements de leur fonction, fermeture des frontières). De son côté, la Chine a choisi de contenir la pandémie de manière dure pour ensuite permettre une reprise disciplinée de l’activité en fournissant le monde en produits faisant défaut dans les chaines d’approvisionnement. Pas de dérapage budgétaire, pas d’expansion massive de la masse monétaire !

A nos yeux, la Chine tente de démontrer sa stabilité financière et monétaire au moment où elle ouvre progressivement ses marchés financiers. Ainsi, l’attrait de sa devise, le renminbi, et de son marché obligataire s’en trouvent renforcés. Par la même occasion, les tensions croissantes avec les Etats-Unis incitent la Chine à accélérer la dé-dollarisation du commerce asiatique. Le processus est désormais en cours, l’ouverture du marché a permis aux banques centrales de la région d’accumuler des réserves en renminbi, ce qui permet par voie de conséquence aux entreprises locales de faire de plus en plus de transactions dans cette devise. De manière très claire, les flux financiers mondiaux se sont modifiés (probablement durablement) en se dirigeant vers l’Asie dans des proportions grandissantes. Cet appétit pour les actifs de taux exprimés en renminbi n’est pas sans conséquence pour l’équilibre économique chinois, notamment dans un contexte d’appréciation de la devise. Comme la Chine n’est plus uniquement « l’atelier du monde », mais bien un acteur qui achète à l’extérieur des composants et des matières premières, une devise forte n’est plus vraiment un handicap.

Cela nous amène aux relations internationales et notamment au lien avec les Etats-Unis. L’observation attentive des effets des mesures tarifaires présente un bilan négatif pour Donald Trump (à qui on conseille de prendre des cours d’économie pendant son temps libre à venir). En préambule, il est bon de rappeler que les tarifs sont payés par les clients et non les producteurs, ce qui s’est traduit par une diminution des marges des sociétés américaines concernées (et partant dans certains cas des réductions de salaires ou d’emplois…) ou des augmentations de prix pour les consommateurs. Dans le même temps, les achats de produits agricoles « yankees » par les Chinois sont bien loin des objectifs fixés. Si le déficit commercial des Etats-Unis avec la Chine s’est réduit, au total il a finalement augmenté car les flux se sont déroutés vers d’autres régions comme le Japon et l’Europe. Il est à relever au surplus que dans le domaine des relations financières, les entreprises américaines ont désormais un accès plus aisé au marché chinois à mesure que l’ouverture se confirme.

Toutefois, les efforts de l’administration Trump visant à interdire aux fonds de pension d’investir en titres chinois, ou encore le « delisting » des nombreuses sociétés chinoises de la cote américaine agissent à fin contraire et pourraient donc générer des mesures de représailles. Le vide laissé par les Etats-Unis dans les relations internationales est déjà rempli par la Chine qui, coup sur coup, signe deux accords commerciaux majeurs. Tout d’abord en novembre le plus important accord commercial multilatéral (RCEP) avec les principales économies asiatiques, le Japon, la Corée, l’Australie et la Nouvelle-Zélande (tous des alliés historiques de Washington…). S’il ne faut pas exagérer la portée de cet accord (qui touche environ un tiers de la population mondiale tout de même !), on assiste à une certaine harmonisation des pratiques tarifaires et des règles d’origine des produits concernés. Ensuite en décembre, un accord (en préparation depuis huit ans) avec l’Union européenne qui clarifie les pratiques commerciales, organise plus proprement les accès aux marchés et les transferts de technologie notamment. Ici encore pas d’euphorie déplacée, mais plutôt la mise à niveau des relations commerciales non-tarifaires.

On le voit, les nouvelles priorités ont quelque peu éclipsé le « projet du siècle », l’initiative Belt and Road visant à connecter la Chine avec l’Europe et l’Afrique, qui requiert des moyens financiers très importants.  La Chine avance pas à pas comme nous le savons. Elle est considérée comme un partenaire économique important (par son poids), mais est crainte pour son système autocratique et ses pratiques souvent brutales (propagande, absence de transparence, élimination arbitraire). On a bien vu en 2020 comment se sont passées la reprise en main de Hong Kong ou encore la répression dans le Xinjiang. De manière légitime, l’administration Trump a montré son désaccord avec les pratiques chinoises, mais la méthode ne fut probablement pas la bonne.

Par ailleurs, le traitement réservé depuis quelques mois aux affaires de Jack Ma, l’homme d’affaires le plus couronné de succès de l’empire du Milieu, en dit long sur la main de fer des autorités. Cela a commencé par la suspension de la mise en bourse d’une partie du capital de la société de paiement Ant Group (ancienne filiale de Alibaba) pour « des raisons réglementaires », indication très claire à M. Ma que ses ambitions d’utiliser Ant pour « déplacer » les banques chinoises traditionnelles dans le marché des crédits ne faisait pas partie du programme des services financiers. Dans la foulée, les autorités lancent une revue détaillée du contexte concurrentiel dans le secteur « big tech » dans lequel Alibaba joue un rôle dominant. M. Xi accepte que le capital privé se développe et crée des milliardaires sur son territoire, aussi longtemps que l’activité des entreprises concernées s’inscrive dans la stratégie du parti.  

Pour conclure, il n’est plus possible d’ignorer l’importance de la Chine dans la configuration mondiale des marchés financiers, même si on n’aime pas la manière. L’émergence de blocs économiques distincts, où la Chine entend dominer la zone pacifique, la pousse à gagner son indépendance en approvisionnement de composants stratégiques et rendre son marché financier accessible et attrayant. Pour l’heure, la Chine marque des points, au moment où la société américaine se déchire et que l’Europe continue à chercher sa voie.

Serge Ledermann, 11 janvier 2021

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