Coronavirus: et après ?

par 23.03.2020Finance, Le Temps

Article par Serge Ledermann paru dans Le Temps | 23.03.2020

Coronavirus: et après ?

Le quotidien de chacun est profondément changé depuis quelques jours, transformé d’une manière sans précédent. Les activités ralentissent ou simplement s’arrêtent, la liberté de mouvement est contrainte et les flux financiers traditionnels sont remis en question. L’anxiété individuelle et collective augmente fortement, chacun se demandant de quoi son destin immédiat sera fait. C’est tout à fait normal.

Ce basculement est si subit et inattendu qu’il prend tout le monde au dépourvu. En 2008, la crise était essentiellement financière, induisant assez rapidement des réponses vigoureuses de la part des banques centrales, adoptant par la suite des politiques non-orthodoxes. Pour certains – et certainement pour les secteurs des transports, loisirs, biens durables par exemple – cette crise ressemble à une combinaison de GFC (Great Financial Crisis de 2008), SARS (crise sanitaire de 2004) et 9/11 ! La séquence est en effet très claire. Cela démarre par la diffusion d’un virus inconnu dans une région du monde très peuplée, diffusion qui n’arrive pas à être contenue localement. La propagation se transforme en pandémie et touche l’Europe (épicentre actuel) et de manière croissante l’Amérique du Nord, soit les deux zones économiques les plus importantes en dehors d’Asie. Le coup de frein brutal sur l’activité guide ses régions vers une récession certaine. Alors que le contexte économique change drastiquement (de croissance modeste sans inflation à récession et risques croissants de faillite), les investisseurs doivent modifier leur positionnement. Cet ajustement majeur se fait dans la douleur, la porte de sortie n’a été que partiellement ouverte et les conditions de sortie sont frénétiques. Et comme à chaque basculement, les ventes forcées accentuent les mouvements, mouvements qui sont désormais dominés par les algorithmes de transaction.

Les réponses doivent être aux trois niveaux mentionnés plus haut. La propagation du virus doit être freinée, ce que les mesures de confinement et la mobilisation des services de santé tentent de résoudre. Les laboratoires de recherche épidémiologique sont engagés dans une course contre la montre pour mettre au point des vaccins. On peut d’ailleurs questionner le silence qui a entouré les arrêts (par les grands groupes pharmaceutiques) des développements dans le secteur des vaccins car considéré comme non rentables… Mais c’est sur les plans économique et politique que l’effort le plus colossal doit être entrepris, et ceci dans les meilleurs délais. La mise à l’arrêt forcé de pans complets de l’économie génère des pertes non-recouvrables de revenus et de marges. Les gouvernements sont appelés à mettre en place des mesures compensatoires afin d’éviter des pertes importantes de substance et/ou des faillites. Cela implique également de permettre aux citoyens de pouvoir faire face à leurs charges domestiques. Les grands principes de rigueur financière doivent donc impérativement être remis à plus tard. Les montants à engager sont également sans précédents, ils se comptent par centaines de milliards pour les grandes économies, certainement au moins cent milliards pour la Suisse (et non dix !). Il faut par tous les moyens empêcher la paralysie complète qui conduirait à une récession durable. La panique qui s’est emparée des marchés financiers trouve son origine dans le changement brutal de perspectives, mais aussi et surtout par la détérioration massive du marché du crédit (comme d’habitude). Seuls des initiatives massives sur le plan fiscal peuvent permettre d’endiguer la panique et calmer les flux sortants. Les mécanismes de distribution doivent donc être communiqués rapidement. Nous monitorons donc les points d’inflexion de l’évolution du virus d’une part et les effet des mesures de compensation sur la psychologie des investisseurs et du public.

Une fois le calme revenu, et il va revenir, est-ce que le monde sera exactement le même qu’avant la pandémie ? J’en doute ! Les défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui vont nous pousser à repenser notre quotidien, nos habitudes et notre sécurité. L’irruption du Covid-19 met en évidence la fragilité des systèmes de santé, affaiblis par la pression continue (un peu partout dans le monde, moins en Suisse il faut le relever) à réduire les coûts et le rôle de l’état. Les budgets publics et privés doivent impérativement être augmentés pour la recherche médicale, les réseaux hospitaliers, les soins à la personne (de tout âge) et la formation du personnel médical. Parallèlement, il faut éviter d’autres pandémies en modifiant les règles d’hygiène urbaine, sans heurter la cohésion sociale. Enfin, la sécurité des circuits d’approvisionnement, tant pour les biens techniques que l’alimentation doit également être garantie, en considérant des sources plus diversifiées et surtout des circuits plus courts (principalement pour les biens alimentaires). La réorganisation des chaînes d’approvisionnement va indubitablement venir au sommet des priorités des chefs d’entreprise, ce qui va se traduire par la recherche/création de sous-traitants proches des centres de production (en Europe et en Amérique du Nord). Sur le plan alimentaire également, la production locale serra favorisée, ce qui permettra par la même occasion de réduire l’impact environnemental. Dans la même veine, la place essentielle dans le tissu social du commerce de biens de première nécessité en « brique et mortier » est clairement démontrée en ce moment. La notion d’hyper-mobilité doit également être revisitée, pour réduire à la fois les risques de propagation de maladies et de pollution atmosphérique. L’obligation faite aujourd’hui à de nombreux citoyens de travailler depuis leur domicile va certainement montrer qu’il existe désormais des moyens de désengorger les centres urbains et flexibiliser les modes de travail. Il est donc capital de continuer à investir dans les infrastructures, la digitalisation et la formation.

La liste des changements et/ou des initiatives va bien au-delà de la taille de cette chronique. J’ai laissé de côté (pour ma prochaine chronique) à dessein mes réflexions sur les changements qui doivent également affecter le fonctionnement du système financier et des marchés. Une chose est sûre, tout ceci à un coût. Ce coût devra être porté par tous, les produits du quotidien seront plus chers, la mobilité de longue distance à moindre frais va être réduite et notre sécurité générale sera financée par l’ensemble de la communauté. Les taux d’intérêt à long terme vont remonter afin de refléter l’explosion des déficits budgétaires. Le rôle de l’état va augmenter immanquablement ! Les électeurs devront donc faire des meilleurs choix à l’avenir, notamment dans le monde anglo-saxon.

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